Si la mer m’était « comptée »

C’est un lieu de découverte et d’émerveillement. Sensibilisation et protection sont au cœur de ses missions. Plongée dans l’antre de la vie marine : l’Aquarium de la Guadeloupe.

 

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Si beau, si fragile

S’immerger… Se retrouver nez-à-nez avec un poisson lion, caresser une étoile de mer coussin, sentir les minuscules podias de l’oursin blanc vous agripper la main, dénicher le poisson pierre au mimétisme déroutant, contempler la danse des requins citron, observer, fasciné, cet opistognathe à tête jaune mâle qui incube les œufs dans sa bouche, s’émerveiller devant le vol gracieux de la raie, se laisser captiver par la finesse des coraux multicolores… Comment ne pas être envoûté par temps de beauté, de diversité, d’inventivité dont a fait preuve chacune de ces espèces pour peupler nos mers et océans ?

L’Aquarium de Guadeloupe, au Gosier.

Les « pieds au sec », nous apprenons que la mer représente 98% de la superficie totale de l’archipel guadeloupéen et qu’il y a plus de biodiversité sur 1 km de récif corallien que sur l’ensemble du territoire français. Saisissant. La Guadeloupe possède la plus longue barrière de corail des Petites Antilles, mais aussi 17 espèces de cétacés, 350 espèces de poissons, 53 espèces de coraux, 3 000 ha de mangrove et plus de 200 km2 de récifs coralliens. Époustouflant. Et pourtant, cette mer nourricière est mise à rude épreuve depuis une cinquantaine d’années. Mer, océans, lagons, récifs, tous sont menacés dans leur équilibre par les activités anthropiques jusqu’à un point de non retour. Alarmant.

Baliste royal (Balistes vetula).

Apprendre la mer

« Regardez les enfants : voici le squelette calcaire du corail », explique avec ferveur Natthan Mango, animateur à l’Ecole de la Mer. Sensibiliser à la protection de l’environnement marin et à sa biodiversité pour mieux les respecter et les protéger, telle est l’ambitieuse mission de l’association. Hébergée par l’Aquarium – dont elle est partenaire -, l’École de la Mer développe depuis 2007 des activités pédagogiques à destination des scolaires et pour tout public.

Montrant aux enfants des spécimens dans les bassins, Natthan poursuit : « Le corail est un animal, même si l’on a l’impression qu’il ressemble à un végétal ou à un minéral. Son nom scientifique, c’est « polype ». Il vit en colonies, il se fixe au fond de l’eau mais il peut aussi flotter. Il en existe des durs, des mous et des gélatineux. Le récif est constitué de milliers de polypes ! » Et Natthan de conclure, devant son auditoire à peine plus grand que des tarpons, huit paires d’yeux écarquillés, en stage d’une semaine pour « apprendre la mer en s’amusant » : « C’est vraiment important de protéger le récif, car il protège à son tour nos côtes en cassant l’énergie des vagues ».

Dans leur mini-laboratoire, les enfants manipulent et observent au microscope, les yeux rivés sur l’échantillon de sable. « Vous avez vu les petits grains bleus ? Ce n’est pas du sable, mais des micro-bouts de plastique… », décrit amèrement Natthan. Ce sable qui semblait si pur à l’œil nu nous révèle la gravité de la situation. Des traces de pollution omniprésentes. Car s’il est là pour leur montrer la beauté de ces écosystèmes marins, Natthan alerte aussi les enfants sur la catastrophe écologique qui pèse sur nous tous. 85 % des coraux des Antilles sont déjà morts ou dégradés. L’Îlet Caret, en Guadeloupe, n’est plus que l’ombre de lui-même, malmené par la sur-fréquentation de plaisance. Des plages se démunissent de leur sable. Des espèces de poissons développent des maladies ou disparaissent. En cause ? Les cyclones, la houle, mais aussi la pollution de l’eau, le rejet d’eaux usées non traitées, la surpêche ou le réchauffement climatique.

Natthan ne tarit pas d’explications pour éclairer son petit groupe : « Le corail pousse lentement : de 1 à 20 mm par an. Il est aussi très sensible à l’élévation de la température de l’eau. » En effet, si celle-ci se réchauffe durablement de 1 ou 2°C, l’algue qui vit en symbiose avec le corail finit par le quitter. Un phénomène réversible si la température revient à la normale sans tarder. Mais s’il persiste, l’algue ne revient pas, le corail blanchit puis meurt alors. « Si le corail disparaît », explique Natthan, « cela entraînera la disparition de nombreuses espèces marines qui viennent s’y protéger des prédateurs. Le corail sert de nourriture, d’habitat, de pouponnière, de terrain de chasse, de jardin, de filtreur d’eau, à presque toutes les espèces marines tropicales sur Terre. Sans corail, pas de poissons ni de vie sous-marine ! »

Dans les coulisses de la Recherche

 « Maintenant, allons arroser les palétuviers ! », propose Natthan. Dans les coulisses de l’Aquarium, les jeunes stagiaires de l’Ecole de la Mer découvrent les programmes de recherche scientifique menés par les équipes de l’Aquarium, en partenariat avec d’autres instituts, laboratoires, associations et entreprises. Voilà cinq ans que cette pépinière de palétuviers a été créée. Arbres emblématiques de la mangrove, adaptés aux milieux baignés d’eaux saumâtres, ils souffrent aussi des mauvais comportements humains. Dans la pépinière, trois espèces sont cultivées : les palétuviers rouges, noirs et gris. Leur croissance et leur état de santé sont vérifiés deux fois par mois. Dix-huit mois après leur mise en culture, les jeunes pousses sont transplantées sur des sites dégradés, afin de redynamiser les écosystèmes côtiers fragilisés.

Parallèlement à ce projet autour de la mangrove, les équipes de l’Aquarium et YGREC Mer participent au repeuplement des lagons, en menant, depuis 2013, des études sur le bouturage des coraux. « Nous testons actuellement deux supports : sur arbre en PVC et sur plaque, et nous étudions une dentelle entièrement biodégradable », explique Thomas Godoc, responsable animalier de l’Aquarium. « Nous avons choisi de cultiver ici deux espèces de coraux branchus : Acropora palmata (corail cornes d’élan) et Acropora cervicornis (corail cornes de cerf), car elles sont menacées de disparition à court terme et ce sont des espèces bio-constructrices des récifs coralliens présentant une croissance rapide. » A terme, l’objectif est de transplanter ces boutures sur des récifs dégradés ou de les utiliser dans les bassins de l’Aquarium pour limiter les prélèvements en milieu naturel.

Pour les mers, océans et zones humides, tous les signaux d’alerte sont au rouge à l’heure où vous lisez ces lignes. Les stocks de poisson diminuent à vue d’œil. D’ici quelques années seulement, nombre de plages, aujourd’hui polluées, seront interdites à la baignade si rien n’est fait. Coraux, mangroves, poissons et nous autres humains vivons en inter-dépendance. En tant qu’espèce supra-dominante à l’origine des principaux phénomènes liés au dérèglement climatique, il nous revient d’agir sans délai pour sauver les océans… et garantir ainsi notre propre survie.

Texte : Véronique Brusini

Photos : Aurélien Brusini

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