Le carnaval est souvent l’occasion de faire remonter les racines. Ainsi en est-il de « Nèg gwô siwô », groupe emblématique (et néanmoins coquin) du carnaval de Martinique.
Le carnaval, événement où le corps se pare et se métamorphose, où le masque fait rupture avec soi, avec un quotidien, avec une époque. Le travestissement transmet aussi des messages, il autorise la démesure, les dramatisations, l’exubérance, l’allégorie. Et, afin de raviver le souvenir, il rend possible toute incarnation…
Partir de faits marquants de l’histoire, telle est l’idée conceptuelle des « Nèg gwo siwo ». Ce groupe trouve son origine dans le bourg du Prêcheur où, il y a plus de vingt ans, une famille eut l’idée de s’enduire d’un mélange de suie (charbon de bois écrasé) et de sirop de batterie. Un hommage symbolique aux « neg marrons » fugitifs qui, à l’époque de l’esclavage, se badigeonnaient de cette mixture pour échapper au regard et à la vigilance de leurs maîtres. Un camouflage vite fait pour tenter de s’enfuir des plantations et gagner la forêt. Là où la liberté commençait…
Ce déguisement ayant connu un beau succès, une association de Schœlcher a souhaité conserver l’idée… Devenus mythiques, ces personnages (hommes, femmes et enfants) sont des dizaines à composer, aujourd’hui, le groupe qui défile depuis plus de vingt ans dans les vidés de Fort-de-France. Et toujours dans le même appareil : badigeonnés de la tête aux pieds de mélasse, mélange épais et visqueux dont la recette est tenue secrète. Seul « Moïse » la connaît, la prépare et, de ses mains, badigeonne les corps des participants. Tout un rituel !
Les « Nèg gwô siwô », une fois barbouillés de cette mixture, s’encanaillent, s’agitent et chahutent. Véritables éléments subversifs du défilé carnaval, ils sont craints du public – et même des autres carnavaliers – redoutant d’être au contact de ce sirop collant et visqueux.
Et c’est tant mieux, puisqu’à l’origine, leur mission était d’ouvrir le passage aux groupes à pied, protéger les chars de la foule et faciliter la fluidité de la circulation au sein du défilé. Aujourd’hui, ils taquinent la foule.
L’association compte plus d’une trentaine de membres prêts à transmettre l’histoire et la tradition aux nouvelles générations, comme l’explique Lindsey, porte-parole du groupe.
Interrogée sur l’effet que procure ce déguisement luisant et sucré, elle avoue éprouver une certaine fierté à porter haut des souvenirs en conservant sur la peau les artifices utilisés par des ancêtres pour s’échapper. Le carnaval est l’occasion de célébrer la liberté.
Elle ajoute, plus prosaïquement, que cet enduit n’est pas désagréable du tout. Au fil de la journée, elle se masse pour « ré-étaler » la matière sur la peau.
Le mélange ne se rince qu’en plongeant dans l’eau de mer (toute proche, sur la plage de la Française). Lindsey reconnait aussi qu’après une bonne friction au sortir du rituel, sa peau est plus douce que jamais, veloutée comme après un bon gommage suivi d’un masque qui sent bon le sucre. Ça s’appelle finir le carnaval en beauté.
Texte : Marlène François
Photos : Georges Jaffory (association Nèg Gwô Siwô)