Ce que nous offre Alexandre Lenoir est « une peinture de l’expérience », une invitation à pénétrer son univers, celui des Antilles qui lui inspirent trois mots : mémoire, enfance, grand-mère.
« Je singe l’imprimante, la photographie. J’ai foi dans une image qui n’existe pas, qui va prendre du temps », s’amuse Alexandre Lenoir dans la nuit artificielle de son atelier. Installé depuis 2019 dans les anciens locaux d’Universal Studios à Anthony, en région parisienne, il se déplace de salle en salle, d’histoires intimes en souvenirs revisités, pour suivre l’avancée de ses toiles sur lesquelles s’affairent de nombreux « collaborateurs manuels », comme il les dépeint lui-même. Car Alexandre n’a pas l’âme de l’artiste ténébreux solitaire. « Ma peinture n’est pas du tout intellectualisée. Son enjeu est davantage une expérience de vivre ensemble, un travail de mémoire, de filiation. Mon approche de l’art est très connectée à l’humanité et je suis convaincu qu’on n’a pas besoin d’être artiste pour faire de l’art ». Sa passion artistique se partage donc avec tout un chacun sans entrave, dans le geste et par le geste, le truchement du groupe dont les membres néophytes, iconoclastes et sensibles participent tous de cette même énergie vitale et créatrice dont naissent les « œuvres d’art » : ces productions douées du pouvoir de susciter l’émotion, la question, l’introspection.
Lamelles de papier
Le procédé inventé par Alexandre Lenoir est singulier. Toiles grands formats tendues au mur sous le faisceau de vidéo-projecteurs, les petites mains des collaborateurs collent et décollent inlassablement des milliers de fines lamelles de papier autocollant, occultant ou libérant tour à tour des zones de lumière à peindre dans une couche de lavis primaire uniforme, tout en transparence et porosité. Au fil des semaines, des mois parfois, les lavis se superposent, donnant corps, intensité et nuances aux sujets. « J’ai une relation à la révélation. Je ne maîtrise pas mais, irrémédiablement, je me réapproprie. C’est un travail très autobiographique. Plus je me connais, plus je fais de la peinture… et plus je me connais ». Tous ses sujets entrent en effet en résonance avec son enfance ou sa vie proche. Ici sa mère… Là sa cousine… Plus loin, la rencontre de ses parents en Guadeloupe… « Quand j’étais petit, j’allais régulièrement en Guadeloupe. Ma grand-mère habite à Trois-Rivières dans une maison qui a toujours été ouverte. Ce contact intérieur/extérieur est très important pour moi. A l’atelier, j’essaie de retrouver cette fluidité. Cela évoque pour moi cette chaleur, cette humidité aqueuse et volcanique. Je représente ces moments ou ces personnes proches dans ce qu’ils sont. Ce n’est pas une représentation directe, plutôt du vécu, des sensations, des fragments de vie qui s’incarnent sur la toile ». Une superposition profonde de pigments et d’humeurs pour nous mettre, tous, en émoi.
Pour suivre le travail d’Alexandre Lenoir cette année, il fallait être à Los Angeles en février, Genève en mars, Art Basel (Hong-Kong) en avril. Prochain rendez-vous à Shanghai, en septembre. Ou sur www.alminerech.com
Texte : Véronique Brusini
Photos : Aurélien Brusini