« Kann é Nonm », c’est la nouvelle expo photo de Sandra Sulpice. Une immersion sensible au cœur des champs visible jusqu’au samedi 10 décembre au musée Saint-John Perse, à Pointe-à-Pitre.
Infographiste de carrière, Sandra Sulpice comprend très vite que l’image, les formes et les couleurs sont les outils qui lui permettront de retranscrire ses états d’âme et sa sensibilité. Elle explore la peinture, et épouse la photographie. Pendant trois ans, elle immortalise le travail que l’association A.M.E. (Action Mission Extérieure) mène en Haïti suite au tremblement de terre de 2010, puis décroche en 2015 un diplôme de technicienne audiovisuel à l’ESRA (École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle) à Paris : le virage vidéo est pris.
Lors de ses voyages, Sandra expérimente « la patience, la faculté de garder ses distances et de s’approcher avec douceur des sujets afin de capturer des regards perdus, un sourire, une approbation, un échange, créer du lien, une complicité. » explique la photographe. Ainsi naît, chez elle, le goût de l’autre.
Montrer ce que les gens n’osent pas voir
Depuis 2019, Sandra Sulpice expose ses photographies. Une expo-hommage à nos aînés d’abord, à la médiathèque du Lamentin puis, du 5 mars au 9 mai dernier, elle participe à l’expo à ciel ouvert « Quand Sainte-Anne se raconte » organisée par l’association K’ARTayib, via des œuvres disséminées aux quatre coins de la ville dédiées aux personnages, femmes et hommes, qui animent et rythment le quotidien de Sainte-Anne par leurs activités, leurs histoires, leurs personnalités (retrouvez l’article en ligne : https://creola.net/fenetre-ouverte/quand-sainte-anne-se-raconte-une-expo-photo-ephemere-sur-les-facades-de-la-ville/)
Sandra Sulpice y trouve là encore une occasion d’étayer son travail sur l’humain, sujets sociétaux à travers lesquels elle recherche le détail qui donne une dimension nouvelle à sa photographie. « Mon objectif ? Montrer ce que les gens n’osent pas voir, et faire réagir. » résume-t-elle. Avec l’exposition Kann é Nonm, la photographe va à la rencontre de ces hommes dont les silhouettes, depuis des siècles, jaillissent des champs.
« Après la maison, tu longes le terrain labouré sur ta droite, jusqu’au manguier, ok ? Tu verras une rivière. Tu passes sur le pont et tu poursuis la route bordée de canne à sucre, sur ta gauche.Toujours tout droit é ou ké tann nou ! » Il est 10h15. Me voilà seule, au milieu d’une végétation luxuriante. Les alizés caressent les feuilles des cannes et les font onduler, comme le mouvement des vagues de la mer. La chaleur est étouffante. Le chemin rocailleux et boueux que j’emprunte ne facilite pas une marche rapide. Alors mes pensées vagabondent et rejoignent les récits d’autrefois de papa Bolo, gonflés de souvenirs joyeux et douloureux à la fois des champs d’cannes, racontés quand il était de bonne humeur…
Après vingt minutes de marche, mon appareil photo à la main, je sais que je suis arrivée en entendant des voix et le bruissement des coups de coutelas sur la canne empaillée. Là, les tiges sucrées, couchées au sol, intensifient la lumière et le lieu est animé de rires, de « milans » , de « hon » à chaque coup de coutelas et même d’une radio essayant de se faire entendre dans cette cacophonie. Quelle ambiance !
Enfin, je me trouve au milieu de champs de canne où ne poussent pas seulement de la canne, mais aussi des hommes.
Pour certains, la coupe de la canne reste un métier dévalorisant, dégradant de par son histoire esclavagiste mais pour d’autres, c’est un travail noble qui symbolise la richesse du terroir et l’avenir. Travailler la canne, c’est renouer avec son identité, se réapproprier son héritage culturel. C’est aussi réhabiliter, humaniser cette profession.
Dans cette série de photos, alors que beaucoup s’exaltent devant le fruit de tant
de labeur, ce fameux « soleil liquide » comme disait Aimé Césaire, je veux mettre en exergue le dur travail d’hommes anonymes.
De la récolte au bouturage, en passant par le brûlage, la coupe de la canne à la force des bras, et le ramassage, tout est technique, réfléchi, calculé, organisé intelligemment. Le système de récolte mécanisé a débuté vers 1965. Toutefois les gestes de ces hommes demeurent précis, rapides, kann ka volé an tout’ sens par leur puissance physique et leur dextérité !
Je vous invite à découvrir le courage et le savoir-faire des gens de la terre et également leur amour pour ces produits nobles qui sont la canne et le rhum… »
Sandra Sulpice
Où : Musée Saint-John Perse, 9 rue Nozière, à Pointe-à-Pitre.
Quand : du lundi au samedi de 8h à 12h30.
Texte : Julie Clerc
Photographies : Sandra Sulpice