La vieille Dame a ses vapeurs – La Soufrière, Guadeloupe

Du haut de ses 1467 m, le volcan de la Soufrière laisse entrevoir ses fumerolles sommitales. En repos éruptif depuis 1977, le suivi des scientifiques de l’Observatoire sismologique et volcanique de Guadeloupe montre les signes d’une lente reprise d’activité. La confiance des habitants est pourtant à nouveau de mise et le volcan attire irrémédiablement les passionnés de nature. Tour d’horizon avec « vié madanm la ».

 

- Advertisement -

L’éruption phréatique de mes huit ans

« Il faisait très beau, ce jour-là, le 8 juillet 1976 », se souvient Thierry Rollin. « Nous habitions à Saint-Claude, quartier de Parnasse. J’étais sorti jouer dans la rue avec mes copains et mon neveu. Quand je me suis tourné vers lui, sa tête est subitement devenue toute grise. Je lui ai dit : « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Tu as du sable sur la tête ! » Par réflexe, les enfants lèvent alors les yeux au ciel… « On avait l’impression que le volcan de la Soufrière crachait des cumulonimbus. » Au même moment, les sirènes d’alerte retentissent et une voiture armée d’un haut-parleur sillonne les rues en diffusant ce message : « La Soufrière est entrée en éruption ! » Tout s’accélère, le soleil disparaît et une nuit soudaine avale l’horizon. Thierry et sa famille s’engouffrent à neuf dans la voiture et tentent, malgré de formidables embouteillages, de regagner la Grande-Terre pour se mettre à l’abri. « Ça a forgé ma vision de la vie : on peut tout perdre du jour au lendemain. La vie, notre petit confort, ne tient qu’à un fil.

C’est la Nature qui donne le la. Elle peut tout nous reprendre à n’importe quel moment. Par peur, ma mère n’est jamais revenue, malgré les appels à regagner le domicile un à deux ans après les éruptions phréatiques, et moi j’ai perdu de vue mes amis d’enfance pour me reconstruire en Grande-Terre », confie aujourd’hui Thierry. « Malgré que j’aie été déraciné, j’ai eu une belle adolescence. Dans l’année qui a suivi les événements, lors des conflits dans la cour d’école, on nous lâchait parfois : « Tais-toi ! Tu n’es même pas d’ici d’abord ! Tu es un Magma ! » [surnom donné aux déplacés de la Basse-Terre suite à l’éruption NDLR] Mais cela n’allait guère plus loin… » Adulte, dans son parcours d’investisseur immobilier, Thierry ne s’est plus projeté en Basse-Terre, jugeant la proximité du volcan incompatible avec des projets à long terme. Ce n’est qu’à la cinquantaine qu’il revient à Saint-Claude, suite à un héritage. « J’y ai eu une révélation. Comme un retour aux sources, c’était là que je me sentais bien.

Ma vie était là ! » Et d’ajouter : « Les moyens de communication avaient considérablement évolué et ont réellement contribué à nous rassurer durablement. Les bulletins réguliers de l’observatoire sur les réseaux et dans les médias, comme les messages d’informations de la préfecture, jouent un rôle central dans la confiance recouvrée des habitants à vivre autour du volcan. Le point primordial est qu’il n’y ait pas de discordance entre ces messages ». Le maintien de Basse-Terre en tant que chef-lieu de la Guadeloupe a aussi joué un rôle essentiel dans sa quête d’attractivité et de dynamisme économique, prégnant depuis une vingtaine d’années. Thierry estime à présent que, s’il devait y avoir une nouvelle éruption du type de celle de 1976, les gens reviendraient beaucoup plus rapidement parce que l’observatoire volcanique fonctionne bien. « On ne pourra plus traverser ce que j’ai vécu à huit ans, parce que nous avons à présent les moyens de prévenir et des outils très performants. »

Passions volcan et communication 3.0

Géochimiste, physicienne adjointe à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), directrice adjointe de l’Observatoire de l’eau et de l’érosion aux Antilles (ObsERA) et ex-directrice de l’Observatoire volcanologique et sismologique de la Guadeloupe (OVSG)… Une longue liste pour jeter là les contreforts professionnels du parcours de Céline Dessert. Ou, plus simple mais non moins authentique : Céline Dessert, chercheuse enthousiaste, passeuse humaniste, écologiste engagée.

Elle qui déclare : « J’ai à cœur la compréhension globale des systèmes hydrogéologiques et volcaniques de Guadeloupe. Pour autant, la transmission de savoirs et le partage d’expériences est nécessaire à mon équilibre ». Faire découvrir le volcan de la Soufrière aux enfants en les emmenant y randonner, informer et sensibiliser les populations du Sud Basse-Terre au comportement de « la Vieille Dame », par l’art didactique ou sur la scène de l’Archipel via une comédie musicale sur l’éruption de 1976… Toutes les occasions sont bonnes pour faire en sorte de maintenir des relations éclairées et apaisées entre les habitants et le volcan avec lequel ils vivent. Un pari en grande partie réussi, puisque Saint-Claude est devenue « la ville du volcan » par exemple, en témoigne son armorial. « Mais on se sent parfois scientifique-funambule et l’on se doit de rester humble ! », sourit Céline, « L’éruption de 1976 reste très présente dans les esprits et, si j’ai régulièrement l’occasion d’échanger avec des gens qui l’ont vécue dans leur famille, il n’y a plus aujourd’hui dans le monde scientifique de personnalités actives ayant aussi vécu cet événement.

Deux lectures, concomitantes et complémentaires, doivent cohabiter sans froisser ni rien éluder : le souvenir marquant d’une expérience intime spectaculaire, voire traumatisante, et la lecture objective des faits scientifiques enregistrés à l’époque. » Un exercice compliqué car le duel fratricide et incompris entre le volcanologue Haroun Tazieff et le nouveau directeur de l’IPGP de 1976, Claude Allègre, a semé durablement le trouble dans la confiance envers les scientifiques ; le premier déclarant alors qu’il n’était pas nécessaire de s’inquiéter du réveil de la Soufrière, quand le second conseilla l’évacuation de 70 000 personnes. Depuis l’avènement des réseaux sociaux – incubateurs en temps réel de passions épidermiques -, la communication de l’observatoire et des instances étatiques doit s’adapter en permanence pour rectifier la mésinformation, voire la désinformation et garantir des messages clairs aux habitants. Saint-Claudienne depuis quinze ans et personnalité publique, Céline est souvent questionnée par ses concitoyens. C’est avec pédagogie et un plaisir certain qu’elle les rassure, sans pour autant minimiser la nature explosive de la Soufrière. « Il y a quelques années », rit-elle, « j’ai déménagé dans un autre quartier de Saint-Claude. Tous mes nouveaux voisins étaient contents et me disaient : Si tu viens t’installer là, c’est qu’on est tranquilles ! »

La Soufrière à la loupe

Dans les années 1950, les premiers sismomètres sont déployés jusqu’au volcan avec une contrainte d’époque : leur lien physique, filaire, avec l’Observatoire, sur les hauteurs de Saint-Claude. L’éruption de 1976 met en exergue les limites de cette proximité immédiate avec la Soufrière. Durant la grande évacuation de cette même année, l’Observatoire trouve refuge à la poudrière du Fort Delgrès, à Basse-Terre, avant qu’on ne statue sur sa nouvelle implantation, un peu plus à l’écart sur le Houëlmont. Il a alors fallu tracer la route, tout terrasser à la fin des années 1980, avant que les scientifiques ne commencent à y travailler en 1989 ; l’inauguration officielle ayant lieu en 1993. Bâtiment aux normes antisismiques et anticycloniques de l’époque, il a pourtant bien résisté au passage de l’ouragan Irma, même si, par mesure de sécurité, le renforcement de l’étanchéité de la salle des serveurs avec un calfeutrage par rideaux anticycloniques a été revu depuis.

« Une grande partie de nos études et observations concernent les séismes. On peut parfois en enregistrer plus d’une centaine en 24 heures, même si la plupart ne sont pas ressentis », confie Sébastien Deroussi, directeur adjoint responsable opérationnel à l’OVSG-IPGP. « Par triangulation entre les données de sismologie et de géodésie, on parvient à localiser les séismes et à les caractériser : à savoir s’ils sont d’ordre tectonique (dus aux mouvements des plaques continentales) ou volcanique ». La géodésie, c’est l’étude de la forme de la Terre et de ses déformations chronologiques, mesurées essentiellement par des GPS et des relevés de points qui se déplacent dans le temps. « Pour la Soufrière, on étudie aussi sa sismicité : s’il y a une source de pression qui arrive des profondeurs », explique Sébastien, « elle va devoir se faire sa place, occasionner des craquements à l’intérieur de l’édifice, ce qui va générer de petits tremblements de terre qui seront suivis et enregistrés. En complément, nous allons aussi sur chacune des failles mesurer à la main leurs déplacements, toutes les six semaines. »

L’Observatoire mène plusieurs projets technologiques exploratoires, pour comprendre toujours plus finement les comportements de la Soufrière. Ivan Vlastélic, directeur de l’OVSG-IPGP et chercheur géochimiste au CNRS, spécialiste des sources des magmas et de leurs processus de fusion, nous en dévoile quelques-uns : « La fibre optique cristallise les attentions car on s’est rendu compte qu’elle transporte et capte à la fois le signal. Elle nous sert donc en détection sismologique au sommet du volcan, mais aussi sur la faille des Saintes pour la tectonique et le suivi de la sismicité régionale. Sur la partie centrale du dôme de la Soufrière, on étudie les flux de chaleur avec des caméras thermiques, des sondes, pour réaliser le bilan thermique du volcan comprenant les gaz, la vapeur et aussi les eaux chaudes, voire bouillantes.

C’est périlleux ! Nous opérons en ce moment de nouveaux forages sur les secteurs de Parnasse et de la Savane à Mulets, entre autres, pour descendre des sismomètres en profondeur (entre 10 et 50 m environ) afin d’enregistrer des signaux beaucoup plus propres, enterrés, avec extrêmement peu de bruit de fond (perturbations liées au vent, à des phénomènes météo extérieurs…). Nous allons faire également un suivi des gaz en temps réel, grâce aux relevés multi-gaz (sulfure d’hydrogène H2S, dioxyde de soufre SO2, dioxyde de carbone CO2…) pour observer la formation de magma. Les relevés continus vont nous contraindre à des entretiens deux fois par mois des stations sommitales, en première ligne des sources dans des milieux très hostiles, acides, ultra-humides et battus par les vents, pour pouvoir pérenniser ce dispositif. » Les informations sismologiques, géochimiques et goédésiques brutes ainsi récoltées sont ensuite pré-analysées par le logiciel WebObs, créé par François Beauducel – géophysicien et ancien directeur de l’OVSG-IPGP. Devenu une référence en la matière, très répandue dans les observatoires y compris à l’international, la plateforme permet une meilleure lecture et interprétation humaine, à grande échelle, participative et avec toute la réactivité nécessaire.

Alerte au sommet !

« Mille cent missions par an, soit en moyenne trois par jour. C’est la cadence des alertes auxquelles il nous faut répondre à la base du Groupement d’Hélicoptères de la Sécurité Civile (GHSC) de Guadeloupe, au Raizet », annonce Yann Morvan, chef pilote instructeur Antilles-Guyane et responsable de la base. La Sécurité civile, chaînon incontournable et fer de lance du secours et de l’assistance aux personnes, mène des missions au profit du SAMU (accidents de la route, secours en montagne), des pompiers (randonneurs perdus, ouragans et tempêtes, assistance technique), du CROSS Antilles-Guyane (sauvetages en mer, évacuations sanitaires de marins, plongeurs ou croisiéristes) ou de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) et de divers services étatiques (préfecture, observatoire volcanologique). Reconnaissable entre tous, l’hélicoptère biturbine Airbus EC145, jaune bardé de rouge, intervient donc en mer, en plaine, comme en moyenne montagne – ici sur la chaîne volcanique de la Soufrière -, répondant au doux nom de « Dragon » suivi du code du département « 971 ». Les neuf membres de la base, tous très aguerris, fonctionnent en binômes par rotations et se divisent en deux corps : pilotes et mécaniciens-opérateurs de bord.

« En mission, notre binôme est indissociable et parfaitement complémentaire », confie Stéphane Berthel, responsable mécanicien-opérateur de bord. « Quand nous arrivons à une cinquantaine de mètres de la zone de secours – suivant notre hauteur de vol -, le commandant de bord perd le visuel qui se trouve sous la machine. L’opérateur de bord quitte alors sa place à la gauche du pilote pour diriger les manœuvres avec les équipiers, à l’arrière. Il ne perd surtout pas le contact avec son binôme et le guide à la voix en annonçant chaque action et en tenant compte de l’anticipation nécessaire au pilotage du Dragon. C’est aussi l’opérateur de bord qui effectue le treuillage, dès que le commandant de bord lui en donne l’autorisation. » Jean-François Sarda, mécanicien-opérateur de bord d’ajouter : « Des manœuvres particulièrement exigeantes et périlleuses dès lors qu’on intervient sur le volcan. La météo est capricieuse et nos fenêtres d’action peuvent être très courtes ».

Les souvenirs de missions fusent et l’on comprend vite qu’une simple erreur de jugement, comme partir en randonnée mal équipé, peu préparé ou sans avoir tenu compte d’une météo pluvieuse au sommet le jour de la sortie ou dans les jours qui l’entourent, peut mettre en danger la vie de toute l’équipe, en plus de celle des randonneurs. Sans compter l’impatience de certains qui, ayant demandé une assistance suite à une brutale montée des eaux de rivière par exemple, tentent malgré tout une traversée sans attendre l’arrivée des secours qui peuvent être retardés par une autre mission déjà en cours et par une météo défavorable. « Cette dame avait dû se perdre dans le brouillard et s’était retrouvée blessée à la jambe, isolée au milieu de nulle-part, très haut juste sous la cassure rocheuse. Impossible d’approcher avec le Dragon.

Le sauveteur a dû faire le balancier au bout du treuil pour l’atteindre, la sécuriser et la remonter en quelques minutes à peine, avant que les nuages ne se referment », se rappelle Jean-François. « Cette autre fois, nous avions pu nous poser mais les manœuvres de secours étaient difficiles et ont pris plus de temps que prévu. La météo est devenue mauvaise et nous sommes restés plusieurs heures sans pouvoir redécoller », ajoute Yann. « Et comment ne pas évoquer ce 31 août 2020 ? », lance Stéphane à la cantonade. « Un bon marcheur parti reconnaître un sentier pour un cross, s’est finalement perdu… et a dû survivre seul pendant six jours avant qu’on ne le retrouve, épuisé mais vivant ! Sur un coup de chance, car nos informations ne le plaçaient pas au bon endroit. Mais il a eu le bon réflexe de se poster en amont d’une cascade, dans le canyon de la rivière Pérou et de se signaler avec de la rubalise, ce qui a attiré notre attention ».

Mais le secours aux personnes n’est pas le seul atout du GHSC. Les missions conjointes avec l’observatoire volcanique (OVSG-IPGP) ont permis par exemple le balisage du sentier sommital de la Soufrière, la mise en place des barrières qui délimitent la zone de sécurité des cratères sud et participent à l’entretien du matériel scientifique sur les sites difficiles d’accès (dépose de batteries, panneaux solaires, instruments de mesures lourds ou volumineux).

Seul opérateur héliporté avec la gendarmerie (et son Écureuil) depuis le départ de l’armée de l’air il y a une douzaine d’années, le rayon d’action du GHSC s’étend bien sûr à tout l’archipel guadeloupéen, mais aussi aux îles voisines, jusqu’à Saint-Martin et Saint-Barthélemy (où il est immédiatement intervenu suite à l’ouragan Irma en 2017). Un rapprochement stratégique d’infrastructure est d’ailleurs à l’étude entre les services distincts de gendarmerie et de sécurité civile, qui se matérialisera, courant 2023-2024, par une toute nouvelle base commune, toujours au Raizet. Le nouvel hangar permettra, entre autres, d’accueillir une machine supplémentaire pour des actions de soutien en tant de crise. Mais pour l’heure, le Groupement d’Hélicoptères de la Sécurité Civile de Guadeloupe a fêté en octobre dernier ses vingt ans de présence opérationnelle. Vingt ans d’abnégation au service de la population !

Texte : Véronique Brusini 

Photos : Aurélien Brusini

Articles récents