Aujourd’hui j’ai eu envie de donner la parole à mon amie Sarah.Pourquoi? Parce qu’elle souffre d’une maladie invisible…
Je souffre de narcolepsie (aussi appelée maladie de Gélineau), c’est un trouble du sommeil grave. Ça touche environ 0,026% de la population française. C’est une maladie tellement rare qu’un médecin m’a dit une fois en 2012 « ah ça existe vraiment je pensais que c’était une légende »!
LA NARCOLEPSIE
Cette maladie se traduit par une somnolence diurne et des accès de sommeil irrépressibles.
Bref je ne peux pas m’empêcher de dormir la journée et je dors très mal la nuit.
On voit souvent dans les films des personnes qui s’endorment d’un coup mais ce ne sont pas les seuls symptômes. Il y a aussi:
– les cataplexies (pour les narcoleptiques de type 1) à savoir de brusque pertes de tonus musculaire. Tu es là, tu rigoles un peu trop avec tes amis et bim tes genoux te lâchent c’est ça une cataplexie.
Ça marche aussi quand ton fils te fait sursauter, quand on t’annonce un décès, ça fonctionne avec toutes sortes d’émotions.
-les cauchemars,
– les 5 réveils par nuit ou un réveil à 3h du matin mais tu te rendors au moment où ton réveil sonne.
– l’ivresse du sommeil (tu ne sais plus où tu es, tu as des nausées, des vertiges, tu te lèves après 1h et 10 réveils)
– les paralysies du sommeil : tu te réveilles en sommeil paradoxal, tu ne peux plus bouger, tu as des hallucinations, tu vois et sens des choses (j’ai beau savoir ce que c’est, je ne m’y habitue pas j’ai toujours peur) et non ce ne sont pas des dorlis !
Moi, j’ai été diagnostiquée en 2010 après une année en médecine très compliquée.
Je suis arrivée en France motivée, mais déjà là mon cerveau n’a pas apprécié le changement de climat. Il faisait froid et sombre, l’automne et l’hiver ont été très difficiles.
Je dormais TOUT LE TEMPS, chez moi, en cours, dans le tram…PARTOUT.
J’ai commencé à faire énormément de cauchemars, à avoir des hallucinations, à ne plus savoir faire la différence entre les rêves et la réalité.
Je me suis renseignée sur internet et j’ai pris rendez-vous à la clinique du sommeil. J’ai fait des examens et le diagnostic est tombée : je suis narcoleptique !!!
Ouf je suis sauvée !
Ben en fait non la narcolepsie c’est à vie ! J’ai eu un premier traitement que j’ai pris pendant 9 ans qui fonctionnait très bien.
J’avais une vie plus ou moins normale, les nuits étaient encore un peu compliquées mais la journée je gérais, je pouvais faire, à peu près, tout ce que j’avais prévu.
Mais mon corps a dit stop, j’ai commencé à avoir beaucoup d’effets indésirables, j’ai dû l’arrêter. Maintenant je prends un autre traitement qui ne fonctionne pas…
UN QUOTIDIEN « EN SOMMEIL »
Cette maladie est un handicap au quotidien.
Je suis constamment épuisée. Toute la journée je lutte au travail pour ne pas m’endormir je prends des vitamines en plus mais rien n’y fait.
Le soir, je dois encore récupérer mon fils, faire le repas, vérifier les devoirs. Heureusement il est très autonome alors, les jours où je m’écroule à 19h , il se fait un sandwich ou un plat préparé. Le matin, il prend son petit déjeuner tout seul parce que j’ai du mal à me lever. Je suis souvent en retard au travail.
Combien de fois je me suis endormie avec un plat dans le four et me suis réveillée en panique avec de la fumée dans la cuisine ?!
On m’a appelée parce que je ne suis pas venue chercher mon fils à la garderie.
Je me suis retrouvée dans un village parce que je me suis endormie dans un bus (le suivant passait 3h après).
Et de l’autre côté je me sens coupable pour mon fils qui souffre de la situation, qui se retrouve à faire beaucoup plus que ses copains.
Alors le samedi je fais tout pour qu’on sorte même si je dois boire 10 cafés et rentrer faire une sieste entre deux.
Le dimanche je reste au lit pour récupérer, mais du coup on se parle à peine.
Et puis c’est lui qui me ramène mon petit déjeuner et des sandwichs au lit ou il réchauffe le repas de la veille.
Il est adorable.
Je n’en peux plus du bordel qu’il y a chez moi. J’ai toujours de la vaisselle à faire j’ai 3 mois de retard de lessive. (Sachant que mon lave-linge est tombé en panne et a été réparé un mois après le déconfinement).
Je dépends des bus. La garderie ouvre à 7h30 je commence à 8h. Tous les matins je suis en retard de quelques minutes.
Faire les courses est une souffrance, c’est hyper fatiguant pour un narco, rester debout à la caisse c’est le pire. Et je n’ai pas de carte d’invalidité donc…
Des fois j’ai envie de tout laisser tomber et rentrer en Martinique mais je ne peux pas conduire à cause d’une maladie de mon kératocône (une déformation de la cornée), ce qui bien sûr compliquerait ma vie là bas.
INCOMPRISE
Alors beaucoup ne prennent pas cette maladie au sérieux et pensent que je me plains pour rien. Mais mon stress est réel: j’ai un loyer à payer, un fils à éduquer et j’aimerais bien avoir une vie sociale, faire des activités pendant les vacances, ne pas être épuisée h24…
Au lieu de ça, je risque de perdre mon travail à cause de mes retards, je passe la moitié de mes vacances clouée au lit, je risque de brûler ma maison à chaque fois que je cuisine…
Très peu de personnes comprennent les conséquences de cette maladie. J’ai parfois droit à des petites remarques du style « les Antillais sont fainéants », c’est difficile.
Heureusement on a un groupe « Narcolepsie/Hypersomnie Idiopathique » sur Facebook et on réalise qu’on vit la même chose, on se soutient, on se donne des astuces et surtout on ne se juge pas.
Nous sommes nombreux à déprimer parce qu’on est incapables de faire le ménage, on culpabilise de laisser nos enfants seuls parfois, on se dit tous à un moment qu’on va démissionner parce qu’on ne tient plus.
Psychologiquement c’est très difficile d’être coincée au lit alors qu’on a énormément de choses à faire.
Le problème est aussi que cette maladie souffre d’un manque de reconnaissance de la part des institutions.
Les démarches à la Maison Départementale des Personnes Handicapées sont très longues et on se dit souvent qu’on va y arriver mais le fait est qu’on a besoin d’une aide ménagère.
On a besoin d’aménagements horaires. On a droit à des siestes au travail. Alors si vous êtes atteint de cette maladie n’hésitez pas à profiter de vos droits.
UNE VIE EN POINTILLÉE
Clairement je suis à bout. Je ne sais pas quoi faire. Parfois je suis en pleine forme ça dure quelques heures donc je me fais un programme et je dois tout annuler parce que mon corps en a décidé autrement.
Je ne peux rien promettre à mon fils. Moi qui aime m’organiser je ne peux pas.
J’ai peur de perdre mon travail parce que la nouvelle direction est très stricte et n’est pas du tout compatissante. Un matin sur deux je pense à démissionner mais je me demande si je vais réussir à payer mon loyer.
J’ai toujours voulu être infirmière mais j’ai dû faire mon deuil.
Aujourd’hui je souhaite travailler avec les personnes handicapées, j’aimerais bien faire une formation mais je ne pourrai pas la faire en même temps que le travail parce que je ne supporterai pas le rythme de vie trop soutenu.
Alors l’avenir semble encore flou.
DES NOTES D’ESPOIR?
Si j’avais une baguette magique, je retournerais au soleil je suis moins fatiguée aux Antilles.
L’idéal ce serait d’avoir un traitement efficace tout d’abord, puis un métier normal à mi-temps, un complément de salaire puisque je ne peux pas travailler plus, et une aide ménagère et pouvoir faire autre chose de l’énergie ménage que j’aurai « gagné »…
Je sais que j’ai peu de chances d’avoir tout cela, mais déjà si je pouvais avoir une reconnaissance de mes difficultés avec un statut de travailleur handicapé ce serait génial.
Malheureusement la MDPH est trop sévère en ce qui concerne les maladies du sommeil qui sont pourtant très invalidantes au quotidien.
Je voudrais aussi que les gens soient plus plus indulgents et compréhensifs, car tous les handicaps ne se voient pas
Cet article, c’est surtout mettre en lumière des souffrances invisibles et indicibles.
Donner la parole, c’est apprendre à faire preuve d’empathie et de tolérance. Et c’est déjà beaucoup.