« L’embrasée », d’Estelle-Sarah Bulle

« L’Embrasée », le dernier roman jeunesse d’Estelle-Sarah Bulle, va vous envoûter. Ses jeunes héros adolescents, des personnages attachants, vibrants, puisent-t-ils l’énergie qui les anime dans la puissance du volcan sur lequel ils vivent ? Ce qui est sûr c’est que l’Embrasée, la « vielle dame » abrite leurs rêves, leurs questionnements et leurs amitiés et que dans la vigueur de son ombre, chacun défriche sa voie exigeante et terriblement excitante.

 

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Le volcan est un personnage majeur de votre livre « l’Embrasée ». Quelle influence a-t-il sur les êtres qui vivent à ses pieds ?

Estelle-Sarah Bulle : Le volcan symbolise l’ensemble de la Nature. Il est à la fois source de vie, menace, force et fragilité. Au départ, Amalia, Jory et Joséphine vivent au pied du volcan sans trop y prêter attention. Ils sont nés là et la montagne est pour eux comme une donnée de base, comme l’air qu’ils respirent : presque invisible. Avec l’arrivée de Paul, ils vont peu à peu prendre conscience de cette présence indomptable, des richesses qu’elle recèle, et cela va aller de pair avec la découverte de leurs propres ressources intérieures.

Dans «l’Embrasée», Paul, un jeune garçon surdoué en chimie, cherche une molécule qui pourrait aider au sevrage de certaines drogues. La jeunesse y prend à bras le corps les problèmes dont elle souffre. Est-ce un constat ou un souhait ?

E-S B : C’est un constat! La jeunesse du monde entier ne cesse de m’étonner et de m’impressionner. Il y a toujours eu des jeunes gens pour faire avancer les choses. Aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, la jeunesse hérite malheureusement d’une obligation à trouver des solutions. C’est une responsabilité qui ne doit pas leur incomber uniquement, mais de fait, ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui changeront l’avenir.

Votre livre est une ode à la créativité de la Caraïbe et notamment de sa jeunesse inventive, vibrante, généreuse. A-t-elle été un des moteurs de votre inspiration ? 

E-S B : Les jeunes de la Caraïbe ont été ma source d’inspiration, en effet. Je me suis notamment appuyée sur une initiative publique, les Talents de l’Outre-Mer, organisée en 2019 par la structure Casodom. Cette initiative visait à récompenser des jeunes de l’Outre-Mer remarqués pour leur parcours, leurs projets, leurs sujets de recherche dans les domaines scientifiques, culturels et économiques. C’est là que j’ai trouvé les modèles des quatre adolescents de mon roman.

Vous rapprochez des cultures géographiquement éloignées qui pourtant se reconnaissent (Guyane – Guadeloupe). Pourquoi ce choix ?

E-S B : Dans mes romans, j’ai toujours à cœur de démontrer que la Guadeloupe ou la Martinique ne sont pas des territoires isolés, mais des zones complètement insérées dans un « arc caribéen » qui va du Québec à la Guyane en passant par Haïti, la Colombie ou la Louisiane. Malgré des langues différentes, c’est une ère créole qui partage une culture et une histoire communes, où la France est un trait d’union, où les échanges sont nombreux et très intéressants, que ce soit en termes de population, de musique, de façon de vivre…

Vous mêlez la tradition, notamment celle de la ferme dans laquelle vit la jeune Amalia, et la modernité des projets des jeunes héros du livre. Et si votre fiction se faisait un jour réalité ?

E-S B : J’en serais ravie! Pour survivre sur notre planète bien malmenée, il faudra allier des savoirs ancestraux et des technologies de pointe. C’est déjà le cas. Les sociétés occidentales se tournent peu à peu vers des savoirs qui avaient jusqu’ici été déconsidérés, jugés secondaires : par exemple, le savoir des Indiens d’Amazonie en termes de gestion de la forêt, le savoir des Aborigènes d’Australie en termes de transmission de connaissances millénaires, le savoir des anciens esclaves caribéens en termes de jardin créole… Il faudra faire avec tout cela mais aussi avec les fusées et les satellites, pour créer un avenir meilleur.

On reconnait votre âme de chercheuse, de documentariste. les recherches scientifiques et les innovations que vous mentionnez sont inspirées de véritables projets de jeunes chercheurs et entrepreneurs des territoires d’Outre-mer . Ce que vous avez trouvé dans vos recherches vous a-t-il étonnée ?

E-S B : Oui, je suis toujours étonnée par ce que l’être humain est capable d’accomplir. Même si je n’en comprends pas la moitié, j’aime lire les articles scientifiques de vulgarisation qui racontent les dernières avancées de la recherche. D’ailleurs, j’essaie souvent ensuite de les raconter à ma manière à mon fils de sept ans, comme des contes merveilleux mais réels : récemment on a envoyé une sonde pour dévier la trajectoire d’un astéroïde qui menaçait de frapper la Terre, on a retrouvé des bateaux antiques dans le lit d’une rivière à sec, on a pris des photos de la naissance de l’univers… Mon grand-père, qui n’a jamais quitté la Guadeloupe et a vécu jusqu’à cent quatre ans, avait beau être coupeur de canne, il aimait, le soir, demander à mon père de lui expliquer comment l’Homme avait pu marcher sur la Lune. Il était émerveillé, j’ai hérité ça de lui. Je suis encore plus heureuse lorsque je vois que des recherches de pointe sont issues du travail incroyable de jeunes issus des Outre-Mer.

Un joli nom pour un volcan : l’embrasée ! De mémoire d’hommes qui habitent sur ses pentes, elle ne porte d’« Embrasée » que le nom. Elle souffle bien quelques volutes de souffre, mais la vielle dame ne semble pas vouloir, un jour, se réveiller. Pour l’heure, Amalia et Jory, les jeunes héros du livre qui habitent au village, aux pieds du volcan, ont d’autres préoccupations : comment gérer leurs parents compliqués, comment ne pas s’ennuyer pendant les vacances, comment entrer en contact avec Paul, le garçon guyanais qui accompagne ses parents chercheurs et qui est lui-même un as en chimie ? En essayant de résoudre ces énigmes, ils vont découvrir que la solidarité est un cœur battant aux richesses inépuisables et que chacun dispose de ressources sur lesquelles il peut compter. L’écriture d’Estelle-Sarah Bulle est lumineuse, éclairante pour les ados qui se reconnaitront dans ses héros, leurs errances et la puissance de leurs espoirs. Au fil de « l’Embrassée », l’autrice propose une vision ambitieuse des jeunes gens qui, dans les Outre-mer comme partout ailleurs, ne cessent de participer activement aux mouvements de nos sociétés. « J’aime bien m’adresser aux jeunes lecteurs et je suis très heureuse quand j’arrive à les toucher, car c’est un public exigeant, mystérieux, que les adultes ont du mal à saisir ». Une histoire qui parle vraiment d’eux. Les ados vont adorer.

Texte : Aimée Petit

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