Habitat créole d’aujourd’hui…, qu’évoques-tu, de quel legs es-tu le témoignage, de quels modes de vie es-tu le symbole ? Le paysage architectural caribéen actuel repose sur deux modes d’habiter inscrits dans son histoire : la case et la maison créole.
LA CASE COMME UNITÉ DE VIE
La case existe déjà dans l’habitat caraïbe à l’arrivée des premiers colons, en 1635. Les « mouinas » sont un ensemble de cases bâties autour d’un bâtiment commun : le carbet. Puis elle sera l’habitat des esclaves fait de gaulettes entrecroisées, recouvertes de feuilles de palmier qui seront remplacées après l’abolition de l’esclavage par des planches. La case est un habitat rural, de petits cultivateurs, l’habitat des pauvres, intimement lié à leurs conditions de vie.
Puis la case abandonne les campagnes pour s’implanter en ville. Quand une famille déménage, et bien, la case déménage aussi. On l’a vue sur les chemins, transportée par des boeufs puis par des camions. Elle change de place, mais pas de fonction. On transporte sa case pour venir travailler à l’usine, celle de Darboussier, quartier Assainissement à Pointe-à-Pitre par exemple, où se forment de vastes espaces insalubres. Elle s’implante aussi en centre-ville où elle se « durcifie » et monte fièrement en étages : la cour cimentée remplace le jardin arrière, on y ajoute une case à eau en fond de parcelle et on la transforme peu à peu en salle de bains et en cuisine.
Dans les faubourgs, autour des centres villes, les cases viennent se poser autour de parcelles étroites et longues formant les « lakous » qui abritent en leur centre jardins partagés et activités collectives, ce qu’on pourrait appeler tiers-lieux, de nos jours.
LA MAISON CRÉOLE DES PLANTEURS
Au XIXe siècle, les planteurs construisent leurs maisons en bois sur un soubassement en maçonnerie de pierres et de mortier, mélange de cendres, de sirop de canne, de sable et de chaux. Ils entourent la maison de galeries.
« Cette maison est en général de plain-pied et comporte dans le vide sanitaire une citerne, élément très utile en cas de cyclone, de sécheresse ou de coupures d’eau ! Le soubassement de 80 cm permet aussi la mise en place d’un escalier à larges marches sur lesquelles il fait bon s’asseoir au crépuscule, au calme, une fois la journée de labeur terminée. De l’ancienne case à eau est resté l’emplacement de la cuisine, sous le vent et un peu à l’extérieur, dans une partie de la galerie. Cette dernière était à l’origine un espace de transition semi-public : il permettait d’accueillir le visiteur avant de l’inviter à entrer, ou pas… Aujourd’hui on met le plus souvent son salon sur cette galerie devenue d’apparat et on y reçoit à dîner. L’intérieur peut rester privé », précise Michèle Robin-Clerc, architecte.
C’est de cette esthétique et de ce modèle architectural que s’inspire principalement l’architecture créole d’aujourd’hui. Les auvents et la galerie permettent de protéger les façades du soleil et de la pluie. La toiture en tôle ondulée colorée, ses lambrequins et ses frises, jolies dentelles qui soulignent l’égout de toiture dans des motifs riches et variés, lui donnent son charme. Il faut y ajouter les persiennes qui jouent avec le soleil et la brise. « Mais le bois qui posait tant de problèmes a disparu des modes constructifs. Vers 1930, à la suite de l’introduction du béton armé en Guadeloupe par l’architecte Ali Tur, des privés construisirent de très jolis immeubles de style Art Déco et leur plan resta celui de la case ayant pris ses lettres de noblesse, avec cependant l’intégration des pièces d’eau. Puis une importante immigration syro-libanaise se fit dans les années 1950. Elle construisit en ville des immeubles en maçonnerie avec un rez-de-chaussée commercial et des étages consacrés à l’habitation. Ainsi la maçonnerie était lancée. Sans retour. Et ce n’est pas le terrifiant cyclone Irma en 2017 qui viendra nous inciter à construire en bois », témoigne notre architecte.
IDÉAL CLIMATIQUE
Comment Michèle Robin-Clerc voit-elle l’avenir de l’architecture créole ? « Elle est notre avenir quand elle hisse ses terrasses aux immeubles, quand elle met ses persiennes et ses auvents au service du climat. L’idéal climatique écologique du bien-être est à l’ombre sous un arbre dans la brise », ce que l’on parvient tout à fait à réaliser quand on construit son appartement ou sa maison en respectant ces principes. Cette architecture est par ailleurs adaptée aux nouvelles contraintes de confinement et d’aération dues au Covid : par la persienne on peut voir, on peut respirer. C’est une ouverture sur le monde. Et sur sa terrasse on peut planter hibiscus ou bougainvilliers qui purifient l’air.
Les maisons qui ont résisté aux cyclones et aux incendies sont parfois très bien entretenues, comme, en Guadeloupe, le Maudhuy à Saint-François. Mais d’autres sont très dégradées, comme celle du Morne Mamiel, ou l’Ermitage à Trois-Rivières. L’ensemble de Vieux Habitants a été parfaitement rénové telle la Caféière Beauséjour à Pointe-Noire. En Martinique, la maison créole est le plus souvent recouverte de tuiles, ce qui lui donne un charme particulier. L’île dispose en effet d’une argile à terre cuite, dont la Guadeloupe est dépourvue. Nous avons encore de très beaux exemples de ces maisons, telles l’Habitation Clément, Pécoul, Bellevue, Saint-Etienne, souvent encore liées aux exploitations de rhum agricole.
LUXE ET ESTHÉTIQUE
« Ces maisons sont des témoins précieux. L’architecture créole s’est intégrée à notre conception de la vie et tous, quand nous construisons, c’est avec cette connaissance chevillée au corps. Elle nous fait orienter notre maison face au vent et la parer d’une élégante toiture colorée, d’auvents, de galeries, de persiennes ou de frises », conclut Michèle Robin-Clerc.
La case a bien des raisons de regarder vers l’avenir. Il est étonnant de comprendre que la luxueuse villa de Saint-Barthélemy est en fait un assemblage de petites cases, unités de vie comprenant une chambre, un dressing et une salle de bain, assemblées autour de la grande case qui abrite le séjour et la cuisine. C’est l’idée du village, du hameau. Ainsi la pauvre maison du travailleur s’est donné ses lettres de noblesse et a porté son originalité vers les sommets du luxe et de l’esthétique.
La Maison de Madame Célérien
La maison de Madame Célérien, qu’on appelait man Firmin du prénom du père de Justin qui vécut assez longtemps avec elle, était composée de deux pièces ; dans le salon il y avait quelques meubles de courbaril sur lesquels étaient posés des napperons au crochet. Un guéridon rond était placé à côté de la berceuse. Man Firmin y mettait ses lunettes, un éventail et le France-Antilles.
L’autre pièce de la case comportait un lit recouvert d’une grande couverture faite au crochet et doublée de soie rouge. Sur la table de chevet, il y avait une vierge bleue et blanche dans les mains de laquelle man Firmin mettait son chapelet. Aux parois de la case elle avait punaisé des pages de magazines qui représentaient des sujets pieux ou des faits marquants, notamment le mariage de Grace Kelly. Les pages avaient vieilli, s’étaient gondolées menaçant de tomber en charpie. L’électricité et l’eau courante avaient rejoint la maison après qu’elle ait été transportée de la campagne à la ville sur une charrette à boeufs puis posée sur des pierres, à Calvaire, cinquante ans auparavant. Après la petite cour arrière on trouvait à présent la cuisine et la salle de bains aménagées dans une cahute de planches. Ses tôles, comme celles de la maison principale, étaient de toutes les couleurs et à moitié rouillées ; elles avaient été récupérées dans la nature après un cyclone et rapidement reclouées. Il y avait, près du réchaud à gaz, un évier de grès posé sur des jambages de béton sur l’égouttoir duquel venaient s’empiler des casseroles en ferblanc toutes cabossées, à manche de bois, et de la vaisselle en pyrex de couleur verte.