C’est une rencontre forte. Elle a eu lieu dans une allée de la Pool Art Fair, salon international qui s’est déroulé en juin, à Pointe-à-Pitre. Spontanés et authentiques, les mots de Cécilia Kiavué sur son travail de peintre et photographe nous ont touchés. Nous vous les livrons ici.
Que diriez-vous de vous, à la naissance de votre art ?
Cécilia Kiavué : J’ai toujours eu une créativité si débordante que je ne savais pas trop quoi en faire ! J’ai été attirée par la musique, la danse, le théâtre puis la photo. J’ai dessiné très tôt aussi. J’ai voulu être journaliste pendant quelques années mais j’avais peur de galérer. Puis j’ai voulu être photographe. Je me suis vite dit que mon résonnement n’était pas bon, puisque j’allais encore plus galérer ! (rires) Le design était un bon entre-deux. Je me suis passionnée par l’espace, le volume, l’objet, l’architecture.
J’ai eu le temps, après mon Bac, d’aller étudier à Toulouse, où j’ai intégré une école de design. J’ai choisi cette discipline qui était le bon juste milieu entre exercer ma créativité et être stable. Sur certaines photos, on retrouve de nombreux éléments architecturaux ; j’ai développé un fort attrait pour ces composants architecturaux typiquement antillais. Je ne sais pas si tu vois, en arrière de mes toiles, on retrouve souvent ce motif, le claustra. C’est une paroi de béton perforé aux mille couleurs et motifs, qui permet la ventilation naturelle et que l’on retrouve presque partout dans la Caraïbe.
Il y a eu ce jour, le jour où je suis rentrée au pays pour les vacances, l’année dernière… Oui c’est ça, et je n’ai vu que ça en fait, les claustras. C’est devenu une obsession ! Certaines œuvres qu’on observe ici amorcent ma future démarche autour de ces éléments architecturaux dont je voudrais retranscrire les attributs, afin de créer une grammaire esthétique caribéenne. C’est un peu mon objectif ! En gros, j’aime l’idée de documenter, avec l’idée de patrimoine aussi, ce que notre île et, plus largement, le territoire caribéen, ont à offrir en termes d’esthétique.
En plus des claustras, je me fascine pour d’autres éléments de design architectural caribéen tels que la ferronnerie, tu sais, les garde-corps que l’on retrouve dans les kaz kréyòl. Ces composantes-là forment des motifs et un langage visuel que j’aimerais exploiter à la fois dans l’art, le design graphique, le design d’objet, le bijou, le textile… Tout est possible !
Votre inspiration ?
En dehors de tout cela, je suis éprise de nature, de philosophie, de sensualité. J’aime les silhouettes lascives, la femme, que l’on voit beaucoup dans mes peintures.
Et j’affectionne ce côté un petit peu, on va dire… Comme je l’écris, l’Éden que je présente ici représente « le jardin des délices », en lien avec son origine hébraïque. Et pour moi, cette atmosphère se retranscrit à travers des ressentis de sérénité, d’harmonie et d’amour.
J’y ajoute certains éléments comme une feuille de fruit-à-pain, ou ma représentation de la Soufrière… Ces détails identitaires me permettent de m’exprimer. Aujourd’hui je présente à la Pool Art Fair l’ensemble de ce tout, des photos à la peinture, en mettant toutes ces inspirations côte-à-côte. Leur mélange donne vie à tout ccela. J’ai étudié à Montréal et j’y suis restée six ans, une expérience qui m’a amenée à avoir une vision globale lorsque je développe une idée.
La nature est très présente dans votre travail, en particulier dans vos photographies…
Ces photos sont prises à Pointe-à-Pitre. J’ai créé une courte série, « Lapwent », qui me tenait à cœur parce que j’y ai passé beaucoup, beaucoup de temps. J’ai été à Michelet et mon père était le directeur du Centre des Arts. J’y étais absolument tout le temps, et surtout dans cette rue-là, la rue Bébian. Centre des Arts qu’on voit d’ailleurs sur cette photo, tel qu’il est aujourd’hui. Cette inspiration ne me quitte pas.
Là, ce sont des photos qui ont seulement un an. Et celle-ci par exemple, est pour moi une illustration de la composition créole telle qu’elle existe sans qu’on n’ait rien à y ajouter. Et j’adore le fait qu’avec la photographie, on ait juste à révéler des choses qui sont déjà là et qui sont déjà belles d’elles-mêmes, surtout sur le territoire guadeloupéen.
Surtout cette dame, cette jolie dame. Dame Sorbet. Elle rappelle toutes les mamies, les taties de l’époque. On retrouve vraiment la Guadeloupe. On retrouve vraiment, dans vos photos, une touche de votre histoire, et votre identité.
Ça me fait plaisir de l’entendre, parce que je pense effectivement que c’est palpable lorsque je commence à en parler. Certaines personnes le devinent vite parce qu’il y a un point commun, un point de départ, il y a une histoire. Et c’est vrai que là, ma démarche est de commencer à constituer, par des éléments graphiques et architecturaux déjà existants, une sorte de grammaire esthétique, un champ lexical purement guadeloupéen, puis antillais, puis caribéen.
Quel est votre objectif ?
Je souhaite documenter tout cela dans un spectre plus large, dans d’autres territoires caribéens pour que puisse se consolider un vrai « lyannaj », qui n’existe pas encore complètement dans la Caraïbe en fait, à travers ce genre de gestes graphiques et artistiques. C’est ce que j’essaie de faire progressivement.
Que pouvez-vous me dire sur ces trois magnifiques tableaux ?
La Vieille madame. Je l’ai appelée ainsi parce que c’est le nom qu’on lui donne depuis longtemps. Et celle des feuilles… Je pense que c’était quasiment le même jour. Celle-ci, c’est à Petit-Bourg. C’est la petite maison d’une amie à moi, située en face d’une rivière. C’est incroyable d’habiter si près d’une rivière. J’adorerais vivre là.
C’est fou en fait que ces trois photos puissent fonctionner aussi bien ensemble tout en ayant été prises à des moments différents. On a ici un plan rapproché qui reprend un peu ce que je viens de dire sur l’extraction graphique d’éléments naturels, qui déjà sont là.
Celle-ci, je l’aime aussi : elle a beaucoup de succès parce qu’elle a ce côté immersif et attirant. On a presque l’impression de prendre la photo soi-même. Et le fait qu’elle soit très grande, qu’elle soit placée à hauteur des yeux, procure cette sensation de fenêtre sur la nature.
Retouchez-vous vos photos ?
Il n’y a aucune retouche sur mes photos et elles sont toutes prises à l’argentique. Je devrais le mentionner un peu plus car je suis très attachée à cette méthode-là. J’ai réellement commencé la photographie avec l’argentique, j’ai appris à développer mes photos quand j’avais quatorze ans. J’étais toute petite ! Je ne les développe plus depuis parce que je n’ai ni l’espace, ni le matériel. Cependant les inspirations sont là et j’aime cette fidélité entre ce que je vois sur le moment, et comment cle cliché sort – sachant qu’avec l’argentique on n’a pas d’écran de visualisation. On doit prendre une bonne photo et puis c’est tout. Et le fait de ne pas les retoucher, c’est aussi un parti-pris : avant, quand la photo était ratée, elle était ratée. Il n’y avait pas de retouches, il n’y avait pas de Photoshop, etc. J’aime l’idée de revenir à ce passé dans la pratique. Mes photos, j’ai la chance de les avoir réussies et de pouvoir les présenter telles quelles, avec authenticité.
Instagram : Cécilia.kiavue
Facebook : Cécilia Kiavué
Propos recueillis par Nédier Henderson
Photos : Nédier Henderson et DR