*Créola donne la parole aux abonnées. Des femmes, anonymes nous racontent leur histoire. Des histoires émouvantes, inspirantes, que nous recueillons avec bienveillance.
La première abonnée de cette série a décidé d’évoquer, non sans humour, sa dépression. Une maladie encore mal comprise, peu prise au sérieux et faisant l’objet de nombreuses idées reçues.
Octobre 2017 : je m’apprête à souffler mes 26 bougies. Je ne le savais pas encore, mais le plus beau cadeau que j’allais me faire, serait de prendre rendez-vous avec une psychologue, et démarrer une thérapie, une thérapie dont je sortirai grandie.
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(oui j’ai beaucoup d’humour)
Quelques semaines avant ce fameux rendez-vous, je sens le vent tourner. Tableau non exhaustif :
- Mon CDD est sur le point de se terminer. C’est ma première expérience professionnelle post-diplôme ; elle a été super éprouvante, et je ne sais pas vraiment où j’en suis professionnellement.
- Côté famille, j’évolue depuis (presque) toujours dans un contexte compliqué, particulièrement chaotique ces derniers mois – « Trahisons, disgrâce », chanterions-nous si ma vie était un dessin animé ;
- Je rencontre d’énormes difficultés à faire le deuil de ma vie étudiante, et rentrer dans la vie active – j’entends par là « Arrêter de sortir le jeudi jusqu’à 4 heures du mat et retourner en cours le vendredi à 14h, rentrer faire une sieste et repartir de plus belle ».
- J’ai déjà fait des tentatives infructueuses de consultation psy et je suis restée sur une mauvaise expérience. C’est l’excuse que je me suis répétée pendant plusieurs mois pour ne pas prendre de nouveau rendez-vous. Mais là je sais que c’est le bon moment…
En résumé : c’est très instable et je suis à deux doigts de me péter la g***le.
Spoiler alert : je me ramasse en bonne et due forme et « tombe », au sens propre comme au figuré, en dépression.
HELLO DARKNESS MY OLD FRIEND
Avec le recul, j’aurais dû le voir venir.
Mes trois dernières années de fac ont été rythmées par des périodes successives de hauts et bas. La stabilité m’était étrangère : je me trouvais toujours dans un état d’excitation ou de détresse profonde: crises de larmes, insomnies, angoisses, anxiété sociale en gros j’avais peur de me rendre dans un amphi de 200 personnes et que tous les regards se tournent vers moi…
Et je m’étais, de fait, habituée à des émotions fortes. Je pensais que c’était normal, et mettais les périodes difficiles sur le compte du stress de la fac et des déceptions amoureuses.
C’est en octobre 2017 que je me suis vraiment inquiétée, car ces périodes difficiles étaient de plus en plus rapprochées, de plus en plus intenses, à en devenir invalidantes. Je ne m’en sortais plus. C’est quand j’ai senti que tout cela me submergeait, que je ne contrôlais plus rien au point d’en avoir peur pour ma survie:
« si c’est de pire en pire je ne serai plus en mesure de trouver un travail, d’assumer ce travail, d’être heureuse seule ou en couple, de fonder une famille etc etc… »
J’ai compris que je souffrais de dépression (avec l’avis d’un médecin et de ma psychologue).
Petit guide illustré de la dépression
La dépression, c’est un genre de burn-out de la vie. C’est une vraie maladie, et pas juste un état passager ou une humeur.
« […] elle se manifeste par l’addition de différents symptômes sur le long terme (deux semaines au moins), entraînant une gêne importante au niveau affectif, social, professionnel et entravant le fonctionnement dans la vie quotidienne. Il est à noter deux symptômes qui sont typique de l’état dépressif au sens pathologique du terme : un sentiment de désespoir (tristesse inhabituelle) et une diminution marquée du plaisir et de l’intérêt pour la plupart des choses habituellement agréables.»
A ce moment-là, le plus dur n’a pas été de prendre mon téléphone pour caler le RDV avec la psy. Non, le plus dur ça a été quand on m’a posé ce diagnostic, d’accepter que j’étais malade.
Car comme une maladie, j’avais beaucoup de symptômes :
1. un état de tristesse quasi-permanent et des pleurs presque quotidiens, des crises d’angoisses pendant lesquelles tu arrives à peine à respirer, où tu as mal car tout ton corps est contracté, où tu te dis que si ça ne s’arrête pas tout de suite c’est ton homme qui est bon pour t’amener à l’hôpital, où tu te dis « Pitié pourvu que ça s’arrête je souffre trop », « J’veux pas mourir », mais à ce moment-là tu ne contrôles absolument rien (deal with it) ;
2. une perte d’intérêt et de plaisir dans la totalité de mes activités, moi qui adorais faire la fête, prendre l’apéro, voir mes amis … c’était devenu impossible, car j’étais trop fatiguée, et source d’angoisse car comme je ne plaisantais plus, comme je ne vivais plus, je n’avais plus rien à dire et je ne me sentais plus digne d’intérêt –
petite précision, la plupart de mes potes ne savent pas ce que je traverse à ce moment-là, ils constatent juste que ça va pas trop, mais comme ça pourrait arriver à n’importe qui. And the award for the best poker face goes to ME!
ce qui m’amène à :
3. un sentiment de dévalorisation et de culpabilité excessif « pourquoi j’inflige ça aux personnes qui m’entourent, je les fais souffrir», et une perte totale de confiance en moi, en mes capacités, mes valeurs… ;
4. un ralentissement psychomoteur, matérialisé par un état constant de fatigue, physique et morale, en dépit de 10 heures de sommeil ;
5. des troubles du sommeil, notamment une difficulté énorme à m’endormir, le cerveau obsédé par la peur de ne pas s’en sortir, des réveils nocturnes… ;
6. j’étais présente physiquement, mais absente à l’intérieur, une coquille vide, envahie de tristesse et d’angoisse.
Ce qui peux t’échapper, et que tu peux avoir du mal à concevoir, c’est que tu te trouves dans un tel état de détresse, que tu as l’impression que tu ne vas jamais t’en sortir. Car la dépression, c’est une maladie à récidive. Tu apprends vite à ne pas trop te réjouir à la moindre amélioration, car tout peut être réduit en cendres à la moindre bousculade émotionnelle ou à la moindre source de stress – et j’en avais pour mon compte.
Tu visualises le tableau ?
Maintenant tu rajoutes à ça une bonne dose de chômage, des recherches d’emploi qui ne mènent à rien, le froid de l’automne puis de l’hiver, un joli appartement en centre-ville mais au rez-de-chaussée donc mal éclairé et pas super bien isolé, des antidépresseurs, anxiolytiques et autres somnifères pour stabiliser le tout et tu mets à cuire pendant six mois. Le légume est à point.
DIGRESSION SUR LES PILULES MAGIQUES
L’histoire retiendra que j’ai dû prendre des antidépresseurs pour reprendre un tant soit peu le contrôle de ma vie et démarrer une thérapie. J’étais absolument contre, mais comprends bien que j’étais dans un état où je n’arrivais littéralement plus à rien, j’avais besoin de béquilles pour avancer. Ce n’est ni plus ni moins qu’une aide pour guérir, mais ça ne fait pas guérir.
Ma première erreur a été de croire le contraire. J’ai arrêté de les prendre dès que j’ai pu, au bout de six mois, avec l’intime conviction que l’orage était derrière.
Et là, catastrophe : je viens de passer six mois dans l’inertie la plus profonde – j’ai toujours des crises d’angoisses de temps en temps, des fois je suis triste, mais moins souvent, pour autant je n’éprouve pas de joie, ou de réjouissance. Je pensais qu’en arrêtant le traitement, j’allais retrouver mes centres d’intérêts, mes sources de plaisir. Et bien, non. Rien de tout cela. Je me retrouve donc à devoir tout reprendre de zéro.
J’ai commencé par aller vers ce qui me procurait du plaisir auparavant, sans résultats. Je me suis dis qu’il fallait que j’en cherche de nouveaux, sauf que je n’avais ni idées, ni envies … Si je ne savais pas quoi faire de ma vie avant la dépression, là je ne savais carrément plus qui j’étais. J’étais pas prête. Ça a été le deuxième coup dur, un pas de plus dans le fait d’accepter qu’il s’agissait bel et bien d’une maladie.
Point positif c’est que cette pseudo-stabilité m’a permis de retrouver du boulot. Maigre consolation sur le moment, mais il n’y a pas de petites victoires.
C’est super dur, à 26 ans, de te dire que ta meilleure vie est derrière, car malgré tous les bas, je l’aimais ma vie, j’aimais qui j’étais, et j’avais l’impression d’avoir tout perdu de manière irrémédiable.
RESISTE PROUVE (TOI) QUE TU EXISTES
Car il s’agit bien de ça : prouver que tu es « en vie ». Et il s’agit bien d’un combat de tous les jours. A ce moment, j’ai l’impression de faire du funambulisme sans filet, j’ai encore trop peur d’une rechute, qui pourrait faire encore plus mal.
Tu as maintenant compris qu’il n’y a pas de formule magique. Ça m’a demandé du travail, tous les jours, sans exception :
– Garder la face au travail dans les jours difficiles, car oui, mon humeur était encore instable à ce moment-là. J’ai choisi une personne de confiance à qui j’ai fait part de ma situation, ce qui était un risque pour moi qui déteste mélanger le pro et le perso. Cela m’a aidé car elle a été un vrai soutien dans les jours compliqués. Elle me comprenait sans me juger.
– Me forcer à sortir et voir mes amis – sans pour autant leur révéler la vérité. Je me sentais « faible d’avoir été victime d’une dépression », comme si je n’avais pas été assez forte.
Et puis j’avais peur que ces personnes que j’estime me jugent, et me fassent mal à leur dépend, avec des phrases déjà entendues auprès d’autres, telles que : « Bah alors, t’es pas en forme aujourd’hui ? », « Aller c’est rien, ça va passer ».
Ça n’a l’air de rien comme ça, mais justement, c’est comme si la personne minimisait ce que tu traverses, et c’est vraiment blessant à recevoir.
Donc pour ne pas les détester, et les garder auprès de moi, je n’ai rien dit ;
– Me rendre aux séances avec la psy même les jours où je n’étais pas bien, même les jours où je n’avais pas envie de parler ;
– Assumer les tâches de la vie quotidienne, ne pas me mettre en arrêt maladie, bref me forcer à faire les petites choses. C’est une sorte d’hygiène de vie pour dépressif ça, on te dit qu’il ne faut pas te laisser aller, il faut sans cesse te forcer à faire des trucs qui ne t’apportent aucun plaisir pour en reprendre à long terme. Joie.
– Veiller aux signaux d’alerte, identifier les situations à risque et les « stresseurs » grace au travail réalisé avec la psy, et apprendre à surmonter les périodes de crises – on parle d’un travail sur deux ans.
– Ne pas penser au regard des autres.
– Ne pas baisser les bras.
On ne dirait pas comme ça, mais c’était un travail de titan. A ce moment-là, je suis encore très fatiguée. Mon boulot me demande beaucoup d’investissement et d’énergie, je ne suis pas très motivée pour faire des activités le soir en semaine ni le week-end. Je vis, ni plus ni moins. C’est fade et ça dure comme ça un an et demi.
LE PREMIER JOUR DU RESTE DE MA VIE
C’est à ce moment-là du récit que le ciel s’éclaircit. La bonne nouvelle aujourd’hui, c’est que je pense m’en être sortie.
Le premier déclic, c’est quand j’ai senti que l’énergie revenait progressivement cet été : j’arrivais de nouveau à faire des soirées jusqu’à 5 heures du matin, j’avais envie de faire des activités, de sortir en journée, voire même de faire du sport.
Aussi, je reprenais du plaisir dans les choses simples et les activités quotidiennes. Pour moi, ça a été une bouffée d’air remplie d’espoir, une renaissance : je me retrouvais, enfin.
Les séances avec la psy m’ont progressivement appris à identifier, réguler, accepter mes émotions. Il y a encore du travail, mais globalement cela m’aide à affronter plus sereinement les situations stressantes ou difficiles, et donc de limiter la récidive.
Mon copain a été là depuis le début et il n’a pas quitté le navire. Je lui en suis infiniment reconnaissante, et j’estime avoir beaucoup de chance qu’il soit resté et qu’il continue de m’épauler. Il est de bon conseil et m’aide souvent à temporiser les choses. Malgré tout, je ressens encore de la culpabilité à ce sujet, je sais bien que mon état de santé lui a provoqué à plusieurs reprises beaucoup de peine, et combien il est complexe de cohabiter avec une personne en dépression.
Et puis il y a tous les petits « tests » : changer d’alimentation, consulter d’autres praticiens de médecine douce, pratiquer (pas assez souvent) la méditation, et surtout, se forcer, se forcer, se forcer …
- sur le plan professionnel: de nouveaux défis
Le second déclic, ça a été de me retrouver sur un poste qui ne correspondait absolument pas à ce que j’aimais et pouvais faire au travail.
Moi qui adore proposer de nouvelles idées, aborder les choses d’un nouvel angle, contribuer ou mettre en œuvre de nouveaux projets, j’ai dû me contenter d’être une simple exécutante (l’angoisse ultime pour moi au travail).
Alors j’ai décidé d’aller au terme de mon contrat, mais de ne pas le renouveler. Et surtout, j’ai décidé de me lancer dans un projet fou : me mettre volontairement au chômage.
Ça c’est pour la blague, le vrai projet, c’est de partir en stage et / ou en volontariat en Europe, et de me former en anglais, ainsi qu’à d’autres compétences complémentaires à mon domaine d’activité…
Mon objectif est de revenir dans ma ville actuelle, de prétendre aux postes qui m’intéressent, dans les entreprises qui m’intéressent, et pouvoir obtenir ce poste que j’envie tant, où je pourrai contribuer au projet d’une entreprise. C’est un désir que je porte depuis la fac, mais que je n’ai jamais pu matérialiser, faute d’argent, de temps, et de courage
Pour cela j’ai besoin d’être au chômage pendant une longue durée, indéterminée pour l’heure ; je dois assumer le fait que cette période sans emploi pourra être vue d’un mauvais œil ; je dois assumer une baisse de revenus et faire quelques sacrifices sur mon train de vie ; je dois accepter de vivre à un autre rythme … Pleins de « petites choses » qui, il y a encore quelques mois, m’auraient empêcher de mener à bien ce projet, car source de stress et d’anxiété ; je me serai effondrée. Aujourd’hui je peux.
La dépression est la pire chose qui me soit arrivée, je ne pensais jamais m’en remettre, j’ai eu peur de ne plus jamais être Moi. Mais sans cette dépression, je n’aurais peut-être jamais su à quel point je suis capable, à quel point je suis résiliante, à quel point je suis capable de surmonter les épreuves, à quel point j’ai du potentiel et « ça » en moi, pour atteindre mes objectifs.
J’ai appris à ne plus me mettre en danger : oui j’ai des choses à prouver, mais je n’ai pas à y laisser la santé pour autant ; je suis en mesure de tirer la sonnette d’alarme, et de dire quand c’est trop et que j’ai besoin d’aide. Je sais prendre (mieux) soin de moi, et surtout, je peux réaliser mes rêves.