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Lycinaïs Jean, ou le chant d’amour

Sa mère est Guadeloupéenne, son père Martiniquais, elle vit à Paris. Elle est chanteuse, autrice, compositrice et beat maker, multi-instrumentiste, talentueuse et bien dans ses baskets. Elle est exigeante et esthète, un goût du beau qui imprègne des clips où la sensualité se fond dans la douceur. Elle, c’est Lycinaïs Jean, artiste Urban pop et R&B auréolée dès 2014 du succès de son hit « Aimer ». Une pépite péyi qui fait rayonner les Antilles à sa manière : totalement assumée.

 

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Vos chansons le prouvent au fil des mélodies et des années : vous êtes une artiste qui croit en l’amour, une foi en l’autre et en la vie que vous partagez avec le public à travers des titres poignants et poétiques, tels que la très subtile déclaration d’amour « Marina », sortie en 2019. Des chansons qui donnent « la part belle aux voix et à la guitare sèche, langage d’une sincérité à fleur de peau » écrivez-vous alors sur votre site Internet.

Vos chansons abordent-elles l’intime, votre intimité, ou évoquent-elles une dimension universelle, voire spirituelle de l’amour ?

Lycinaïs Jean : Un peu des trois ! Il y a une part d’intimité dans mes textes mais comme beaucoup d’artistes, j’habille ce vécu pour ne pas livrer trop de ma vie privée. En fonction des titres, je peux aussi aborder une certaine forme de spiritualité. Mon socle, c’est la liberté. La liberté d’esprit et de corps, le respect de soi, de l’autre, toujours. C’est ce que j’essaie d’insuffler dans mes chansons. Et il y a l’amour, omniprésent dans mon répertoire. C’est un état d’esprit qui dirige mes écrits, qui certainement tend vers l’universel, quand mes chansons par exemple prônent l’ouverture aux autres et le respect des différences.

Comment expliquez-vous que l’amour soit au centre de vos chansons ?

Ce n’est pas un choix, c’est une évidence. L’amour est la base de ma vie. Quand ça ne va pas en amour, ça ne va nulle part chez moi ! C’est le sujet qui m’inspire le plus, les mots viennent tous seuls.

Vous évoquez la liberté dans l’amour…

On a tendance, dans une relation amoureuse, à penser que l’autre nous appartient. Or un couple, ce n’est pas une seule personne : il y a nous, il y a toi, et il y a moi. La liberté, c’est laisser à l’autre son espace, entendre sa vision des choses et de l’amour. Ça induit aussi d’avoir des désaccords et de ne pas se séparer pour autant.

Pour prendre mon exemple, j’ai souvent besoin d’être seule, pour me retrouver ou me ressourcer, pour créer. Ça ne me dérange pas toujours d’avoir du monde autour de moi, mais parfois je pars loin dans mes pensées. Ce sont comme des appels, je ne contrôle pas ces inspirations. Quand je veux les saisir, j’ai besoin d’être seule pour y réfléchir et coucher les mots qui viennent sur le papier. Dans mes moments d’introspection, je n’ai pas envie de parler. Ça ne veut pas dire que ça ne va pas.On peut être là et juste ne pas désirer échanger. C’est important pour moi de me sentir libre d’agir ainsi, d’être moi-même dans une relation et de ne pas jouer un rôle.

Le respect de soi et de l’autre, c’est primordial. Il faut respecter l’autre pour ce qu’il est, pour ce qu’il représente, pour ce qu’il souhaite dans la relation, et pour tout ce qu’il y a autour de cette personne. Accepter quelqu’un, c’est épouser son être, mais aussi son bagage et ses ambitions… Et se respecter soi…, ça consiste à dire « stop, là je ne suis plus moi-même » dès qu’on ne se sent plus aligné avec soi-même lorsqu’on est aux côtés d’une personne, dès qu’on se sent contraint à des sacrifices qui ne nous conviennent pas. Je pense qu’il faut entendre les attentes de l’autre, mais toujours respecter les siennes. Faute de quoi, d’un côté comme de l’autre, il y a des frustrés. Et c’est complètement nul !

Vos clips sont sensuels, celui de « Mayday » en est un très bel exemple, des clips dont vous écrivez tous les scenarios. Que racontent vos images ?

J’aime la sensualité, et tout ce qui est beau. Je suis perfectionniste, et pas uniquement en musique : en image aussi je peux être très exigeante ! J’aime faire rêver avec mes films, j’aime plonger les gens dans le fantasme. Mes clips se terminent rarement par une vraie fin. Ils laissent les gens sur leur faim justement, pour qu’ils puissent imaginer la suite…

Avez-vous la sensation, à travers vos clips, de réveiller une part de sensualité, d’érotisme peut-être, chez ceux qui les découvre ?

Je n’y ai jamais pensé, mais il se pourrait que ça fasse ce travail là ! Il y a aussi des gens que ça met mal à l’aise, qui ne sont pas prêts à s’ouvrir à cet aspect de la vie. Et puis… Ce sont deux femmes qui sont mises en scène, je suis consciente qu’on brutalise un peu certaines personnes peu habituées à ces images. Mais ce n’est pas volontaire. Lorsque j’ai tourné mon premier clip avec des femmes, ce n’était pas spécialement un coming-out. J’étais juste moi-même. Ça a bousculé, mais je l’ai vraiment fait pour moi. La démarche était d’abord personnelle, puis elle est devenue publique. Je voulais réaliser un film qui me ressemble et qui fait écho au vécu de nombreuses personnes finalement.

On dit que pour aimer l’autre, il faut d’abord s’aimer soi-même. Y êtes-vous parvenue ?

C’est le travail d’une vie ! Tout au long de son existence on peut douter, au détour d’un événement, d’une remarque. Difficile de dire si je l’ai atteint ou pas. J’avance, étape par étape, mais c’est quelque chose que je vais devoir travailler et entretenir toute ma vie, a fortiori parce qu’un.e artiste est amenée à se remettre en question souvent. Je me questionne donc beaucoup, et même si j’arrive de mieux en mieux à m’aimer, il y a forcément des moments où ça retombe. Alors il faut être fort et garder le cap.

Quels sont vos moyens pour avancer sur ce chemin-là ?

L’exigence d’abord, mais elle est parfois contre productive : je peux être trop dure avec moi-même. Je suis bien entourée, heureusement. C’est primordial dans ces moments-là. Je pense que j’ai les bonnes personnes autour de moi, un entourage affectif et professionnel qui m’offre son soutien lorsque je doute de moi.

On peut aussi agir à son propre niveau : regarder derrière, dans le bon sens, reconnaitre ce qu’on a accompli, ce qu’on a été capable de faire. Où on en est, grâce à quoi on en est arrivé là. Parfois ça ne fonctionne pas, lorsqu’on vit un gros pic de manque de confiance en soi. Je tâche alors de prendre le temps de vivre ces émotions négatives, sans les masquer ou les nier. Et puis, juste après, il faut savoir se réveiller et se focaliser sur ce qu’on a créé de positif. Ce n’est pas simple, et c’est plus facile quand on a le bon entourage et un état d’esprit optimiste au départ. Pour ma part, je sens que je suis sur la bonne voie, même s’il y a des jours avec et des jours sans !

Selon le philosophe Alexandre Lenoir, la joie indique que nous sommes à notre place au moment où nous la ressentons… Est-elle aussi un indicateur sur votre chemin personnel ?

Oui tout à fait. Mais la joie ne peut exister qu’en face de moments moins agréables. Parce que c’est grâce à toutes les batailles qu’on mène qu’on peut savourer nos victoires. Il n’y a pas de joie s’il n’y a pas de galères !

Avez-vous parfois l’impression que le thème de l’homosexualité fait ombrage à votre démarche artistique ? Est-ce une prison identitaire ?

Presque, oui. Je regrette souvent qu’on me pose plus de questions sur mes choix amoureux que sur ma musique. Oublierait-on que ce n’est pas grâce à l’homosexualité que j’en suis arrivée là ? C’est pour cette raison que j’axe ma musique essentiellement sur l’amour. C’est universel.

Vos parents sont Martiniquais et Guadeloupéen, vous vivez dans l’Hexagone. Votre vie intime y est-elle mieux acceptée ?

Être artiste m’a certainement permis d’assumer plus facilement mon homosexualité, en France comme aux Antilles, c’est indéniable. À Paris comme ailleurs, tout dépend de comment on vit son homosexualité. Si on doute, si on a peur du jugement, on attire les mauvaises langues. Mais si on arrive quelque part sûr de soi, et si ça se voit sur notre figure qu’on se fiche de l’avis des gens, alors personne ne nous importune ! Quand j’ai fait mon coming-out, j’assumais déjà mon homosexualité dans mon quotidien, tout le monde le savait autour de moi. L’assumer en musique, c’était une évidence. Il était hors de question qu’on me propose de faire comme si j’étais quelqu’un d’autre. Et cette démarche je-m’en-foutiste a fait que les gens n’ont rien trouvé à redire. Bien-sûr il y a des détracteurs sur les réseaux sociaux. Mais personne n’est venu, debout devant moi, me dire « qu’est-ce que tu nous montres ? » J’ai été félicitée au contraire – même si je n’aime trop pas le fait qu’on me donne une médaille pour le fait d’assumer d’être homo… La réaction des gens dépend surtout de soi, de sa solidité à l’intérieur. On est toujours un peu responsable de ce qui se passe autour de soi.

Aux jeunes filles qui nous lisent et commencent leur vie amoureuse, auriez-vous un conseil à donner ?

Je n’ai pas la prétention de donner des conseils, mais je pense que pour être heureux en amour, il faut d’abord être aligné avec soi-même, avec ses valeurs, avec ce qu’on souhaite au plus profond de soi, et cela fait le tri autour de soi. On rencontre les bonnes personnes quand on est en accord avec soi-même.

Propos recueillis par Julie Clerc

Photos : Didier Robcis et Emmanuel Layani

 

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