Oriyou et le pêcheur, un conte arawak

Dans « Oriyou et le pêcheur et autres contes de la Caraïbe », la conteuse et ethnolinguiste Praline Gay-Para révèle les secrets de ces premières fois des îles antillaises : l’origine de l’homme, ses jeux préférés… La nourriture ancestrale aussi, avec l’apparition dans le champ culinaire de la racine de manioc.

Un homme va un jour à la pêche sur sa pirogue. Il sent soudain un poids au bout de son hameçon. Il essaye de remonter la ligne mais il n’y parvient pas. Sa prise est lourde. Il essaye une fois de plus, il tire de toutes ses forces et la ligne remonte tout doucement, tout doucement et il voit enfin ce qu’il a pêché : c’est Oriyou en personne, Oriyou, la divinité protectrice de la rivière, ses cheveux sont enroulés autour de l’hameçon.

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Le pêcheur la hisse jusque dans sa pirogue et, sans perdre de temps, il rame vers la rive.

Quand elle les voit arriver, la mère du pêcheur est frappée de stupeur car elle reconnaît immédiatement Oriyou. Celle-ci parle pour la première fois, elle dit :

-A partir d’aujourd’hui je resterai auprès de toi, je serai ta femme, mais tu dois me promettre que toi et ta mère vous garderez mon secret. Si l’un de vous révèle à quiconque qui je suis et d’où je viens, je serai dans l’obligation de rentrer chez moi, dans la rivière.

L’homme et sa mère promettent d’être discrets.

Oriyou était une femme aimante, elle aidait beaucoup son mari. Quand ils allaient à la pêche, elle lui indiquait les endroits les plus poissonneux car avec ses yeux perçants elle pouvait voir à travers l’eau boueuse. Tous les jours, ils revenaient de la pêche la pirogue remplie de poissons et Oriyou partageait de bon cœur avec ceux dont la pêche avait été maigre.

Tous se demandaient qui était cette belle femme que nul ne connaissait et qui portait chance au pêcheur.

Une nuit, tous les habitants sont rassemblés pour une fête. La mère du pêcheur est là, elle boit, elle boit beaucoup, d’une boisson forte qui excite les sens et qui délie la langue et pendant qu’elle bavarde, elle révèle le secret de sa belle-fille.

L’histoire se répand comme un incendie et parvient aux oreilles d’Oriyou. Elle pense d’abord à son mari ; c’est lui qui l’a trahie ! Elle va le trouver et lui dit :

-Je t’ai porté bonheur et tu me remercies en me trahissant ?

-Je n’ai jamais rien dit à personne, proteste-t-il, ni qui tu es, ni d’où tu viens !

Son regard est sincère, elle le croit. Ils vont ensuite demander des explications à la mère. Celle-ci reconnaît son manque de discrétion et prie Oriyou de lui pardonner, elle regrette amèrement sa légèreté car elle sait tout le bien qu’elle a fait pour eux. Mais le mal est fait et Oriyou doit rentrer chez elle, dans la rivière.

Pourtant, les jours passent et tous oublient l’incident quand Oriyou dit à son mari :

-Invite ta mère et ses amis à nous accompagner à la pêche.

Ce jour-là, plusieurs personnes s’embarquent sur la pirogue. Quand ils arrivent au milieu de la rivière, là où l’eau est la plus profonde, Oriyou dit à son mari :

-Depuis des années nous vivons ensemble et tu n’as jamais rencontré les miens. Rendons-leur visite !

Ils s’excusent auprès des amis de la mère, leur promettent de revenir bientôt et plongent dans l’eau.

Ils sont partis depuis longtemps. La mère commence à s’inquiéter de leur longue absence, quand l’une des sœurs d’Oriyou apparaît. Elle porte des filets remplis de poissons et un panier plein de racines que nul ne connaît :

-Ma sœur et son mari vous envoient ces présents. Ils vous demandent de rentrer chez vous, de planter les racines tout de suite et de bien les soigner pour qu’elles vous nourrissent tous.

Elle disparaît sous l’eau.

Tristes, la mère et ses amis regagnent la rive. La mère est souvent retournée au bord de la rivière pour appeler son fils mais ne lui a jamais répondu.

Depuis ce temps-là, les Arawaks ont cultivé les racines et les ont appelées manioc[1]. Ils en font aussi une boisson, le cassiri[2], qu’ils buvaient quand il y avait une fête, en chantant, en dansant et en racontant des histoires.

[1] Racine que l’on râpe pour faire de la farine, puis des galettes.

[2] Boisson fermentée à base de manioc que buvaient les Amérindiens.

 

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