Ti-Jean n’a pas connu son père, celui-ci décéda avant sa naissance. Voilà déjà dix années que sa mère fait tout son possible pour l’élever. La malheureuse n’en peut plus, elle n’a plus un sou pour l’envoyer à l’école, même le pain quotidien est acheté à crédit. Ti-Jean décida alors de quitter l’école, d’aller travailler pour s’occuper de sa mère qui avait un bel âge. Il prit son courage à deux mains et un matin il lui dit :
— Maman, je vois que tu es fatiguée, tu n’as plus de force
pour t’occuper de moi. Je vais chercher du travail afin de t’aider.
Sa mère ne répondit pas, car elle était triste de voir son enfant
quitter l’école à cet âge. Ne voulant pas faire de la peine à sa
mère, Ti-Jean y réfléchit toute la nuit.
Le lendemain, lorsqu’il trouva ses vêtements de travail rangés
dans un sac et posés sur la table, il fut heureux de savoir que sa
mère était d’accord qu’il aille travailler.
— Rassure-toi mère, je trouverai du travail et je te sortirai de
cette misère, dit-il, en l’embrassant tendrement avant de partir.
Ti-Jean demanda à travailler dans toutes les maisons rencontrées sur son chemin, mais c’était très difficile d’en trouver à cette
époque-là. Il arriva en fin d’après-midi, à proximité d’une habitation et aperçut un monsieur, élégamment vêtu, en train de se promener sur son balcon. Il s’en approcha et le salua :
— Bonsoir monsieur !
— Bonsoir mon enfant !
— Je suis en train de chercher du travail, je suis venu voir si
vous voudriez bien m’embaucher.
— J’ai du travail pour toi. Je vois que tu viens de loin, tu n’auras pas le temps de retourner à la maison. Reste ici ce soir, tu
auras à manger et à dormir. Tu commenceras demain matin à six
heures.
— C’est d’accord, merci d’avoir accepté ! répondit Ti-Jean
très heureux.
Le lendemain matin, à l’heure prévue, le patron lui-même vint
chercher le garçon :
— Ti-Jean, es-tu prêt ?
— Oui monsieur, je suis prêt !
— Prends les outils (coutelas, houe, pioche) mets-les dans ce
sac et prends place derrière moi. Ils partirent à cheval très loin sur
la plantation. Arrivé dans une grande savane, il dit à Ti-Jean :
— Tu vas me défricher toutes les terres de cette savane, tu
brûleras les herbes, tu planteras des patates que tu récolteras
aujourd’hui même. Ce soir tu devras me rapporter un sac rempli
de patates.
— Oui, monsieur, répondit Ti-Jean.
— A midi, j’enverrai ma fille, La Florentine t’apporter à manger.
Dès que le monsieur eut disparu à l’horizon, Ti-Jean s’assit
sur un tronc d’arbre, se grattant la tête, réfléchissant au moyen de
sortir de ce pétrin ; puis finalement il ne put s’empêcher de pleurer à chaudes larmes.
A son arrivée, La Florentine trouva le garçon pleurant au
désespoir.
— Bonjour monsieur Ti-Jean, je vous ai apporté à manger.
— Merci, mademoiselle, mais je n’ai pas faim !
— Il vous faut manger afin d’avoir de la force pour travailler !
— Désolé, je ne peux pas manger, je suis trop désespéré.
— Si vous m’obéissez, je vous fais avoir un sac de patates que
vous porterez à mon père, M. Bouloukou.
Ti-Jean réfléchit un instant puis accepta de manger.
— Tenez, je vous donne deux morceaux de bois, dit-elle. A
trois heures de l’après-midi, vous vous mettrez à genoux, vous
ferez le signe de la croix et vous direz : « Par la volonté de Dieu,
que soit fait ce que monsieur m’a demandé !» Vous verrez alors
apparaître un champ de patates.
A trois heures, Ti-Jean prit les deux morceaux de bois et suivit à la lettre, les instructions de La Florentine, et vit apparaître un
champ de patates.
Tout ce qui était prévu arriva, et vers six heures du soir, Ti-Jean rapporta le sac de patates à son patron et l’appela :
— Monsieur, je suis déjà de retour !
— As-tu rapporté ce que je t’ai demandé ?
— Oui monsieur, le voici !
Très surpris, M. Bouloukou prit son cheval et alla vérifier si
effectivement Ti-Jean avait planté les patates. A son retour, il lui
dit :
— Va te reposer, car demain je te donnerai autre chose à faire.
Le lendemain, au lever du jour, Bouloukou vint réveiller Ti-Jean.
— Ti-Jean, es-tu prêt ?
— Oui monsieur, je suis prêt !
— Prends l’outil qui est sur l’établi (une doloire, outil servant
à fabriquer des lattes, des planches) mets-le dans ce sac et prends
place derrière moi. Ils partirent à cheval très loin vers la mer.
Arrivé au bord de la mer, il dit à Ti-Jean :
— Tu me prépareras cent planches avec de l’eau de mer et à
midi, j’enverrai ma fille La Florentine t’apporter à manger.
— Oui, monsieur, répondit Ti-Jean.
Assis sur le rivage, il réfléchissait à un plan pour se sauver.
Soudain, il lui apparut un chemin qui l’aurait conduit directement
chez sa mère. Il essaya de l’emprunter, mais tout à coup, ses
jambes s’affaiblirent, il n’eut plus la force de marcher comme si
une force mystérieuse le retenait en ce lieu. Désespéré, il revint au
bord de la mer et se mit à pleurer.
Comme prévu, La Florentine arriva à midi avec une gamelle
remplie de nourriture.
— Bonjour, monsieur Ti-Jean, vos yeux sont rouges, vous
avez encore pleuré ?
— Ah ! Je suis désespéré, mademoiselle.
— Voilà votre repas. Il vous faudra manger pour reprendre
des forces.
— Hier, j’ai grignoté un petit peu, mais aujourd’hui je ne
pourrai pas, je suis trop malheureux.
— Si vous ne mangez pas, je ne pourrai pas vous sauver. Je
veux vous sauver.
Ti-jean, le cœur gros, fit confiance à La Florentine qui l’avait
déjà aidé une première fois et accepta de manger. Après quelques
bouchées, il s’arrêta et replongea dans la tristesse.
— J’en ai assez, je sens ma mort prochaine, je n’ai plus d’appétit.
— Ecoutez-moi. Suivez ce chemin, il vous conduira tout droit
chez mon père. Vous lui direz que les planches sont prêtes et vous
lui demanderez une torche de fumée afin de les transporter.
Ti-Jean ne perdit pas un instant, il suivit les conseils de La
Florentine.
— Monsieur Bouloukou, les planches sont prêtes, il faudra
me donner une torche de fumée pour vous les ramener.
— Sans problème, je vous prépare cela tout de suite !
Bouloukou ramassa des brindilles sèches, fit un feu et essaya
d’attraper la fumée qui en sortait. Un peu plus tard, à cours de
matériaux, il mit le feu dans son écurie, jeta des branches vertes
pour épaissir la fumée. Il assemblait la grosse fumée noire qui en
sortait mais en vain, elle s’échappait entre ses doigts. Toussotant,
ruisselant de sueur, et comme il n’arrivait pas à faire la torche de
fumée, il entra dans une grande colère.
— Eh, Ti-Jean, depuis quand fabrique-t-on de torches avec de
la fumée ?
— Et qui avez-vous vu fabriquer des planches avec de l’eau
de mer ?
— D’accord, ça va, nous sommes quittes ! Tu peux aller te
reposer.
Bouloukou entra chez lui et dit à sa femme : « C’est La
Florentine qui dit à Ti-Jean ce qu’il faut faire afin de déjouer mes
plans. Ce soir je mangerai et Ti-Jean et La Florentine. » La
Florentine était la fille adoptive de Bouloukou.
Bouloukou avait deux autres filles, deux diablesses. Le soir
avant de se mettre au lit, il leur mit à chacune un bonnet rouge et
les plaça au rez-de-chaussée, puis il mit un bonnet bleu à Ti-Jean
et à La Florentine et les garda à l’étage. Il attendait qu’ils s’endorment pour les manger. La Florentine savait que son père était
un diable, elle mit en garde Ti-Jean :
— Ne t’endors pas. Si tu t’endors, mon père nous tuera et
nous mangera.
Ils s’efforcèrent de rester éveillés. A chaque sonnerie de la
pendule, Bouloukou criait pour vérifier si les deux enfants au bonnet bleu dormaient.
— Ti-Jean ?
— Oui, monsieur Bouloukou.
— Dors-tu déjà ?
— Non, monsieur Bouloukou.
— La Florentine ?
— Oui, papa.
— Dors-tu déjà ?
— Non, papa.
Dix heures, onze heures, minuit sonnèrent. Une heure du
matin. Bouloukou les interpella de nouveau :
— Ti-Jean ?
— Oui, monsieur Bouloukou.
— Dors-tu déjà ?
— Non, monsieur Bouloukou.
— La Florentine ?
— Oui, papa.
— Dors-tu déjà ?
— Non, papa.
Bouloukou se recoucha. Ti-Jean était fatigué, il donnait des
coups de tête, il passait de la salive sur ses yeux, le sommeil se
promenait sur le balcon de ses paupières, La Florentine lui tapait
sur les fesses pour le maintenir éveillé.
A une heure et demie, Bouloukou les appela de nouveau.
La Florentine s’inquiéta et proposa un plan à Ti-Jean.
Elle enleva les bonnets rouges de ses sœurs et les remplaça
par les bleus. Puis les plaça dans le lit à l’étage. Ils prirent les
bottes de cent lieues et celles de cinquante lieues et avant de partir elle dit à Ti-Jean
— Crachons par terre, quand mon père nous appellera, c’est
le crachat que je vais conjurer qui lui répondra.
A deux heures, Bouloukou cria de nouveau, c’est le crachat
qui répondit sans problème. Mais à deux heures et demie, le crachat presque desséché ne répondit plus. Tout content, Bouloukou
se leva, affûta son coutelas, entra dans la chambre des enfants,
fonça vers les bonnets bleus, tua ses propres filles sans s’en apercevoir puis demanda à sa femme de préparer une soupe avec les
têtes.
Arrivée dans la cuisine, la femme du diable découvrit la
supercherie et se mit à crier :
— Bouloukou, Bouloukou ! Descends vite, tu as tué tes
propres filles !
Le diable dégringola l’escalier et fou de rage il alla chercher
ses bottes.
Les bottes étaient lourdes, les enfants n’arrivaient pas à avancer rapidement. Une demi-heure après, La Florentine en se retournant vit quatre lueurs à leur poursuite, elle s’écria :
— Les voici, les quatre lueurs sont les yeux de papa et de
maman. Ils vont nous rattraper. Ecoute Ti-Jean, je vais me chan-
ger en mare et toi en canard. Quand papa passera et te demandera : « Mon beau canard, avez-vous aperçu deux jeunes gens passer par là ? » Tu répondras : « Couac, couac, couac ! »
Un instant après, Ti-jean transformé en canard barbotait dans
une mare. Quand Bouloukou passa, il l’interrogea et il répondit
comme convenu.
Bouloukou et sa femme continuèrent leur route. Ti-Jean et La
Florentine reprirent leur forme humaine et empruntèrent un raccourci afin de devancer leurs poursuivants.
Soudain Ti-Jean cria :
— Mademoiselle La Florentine, regardez, ils nous rattrapent
à nouveau. Que faisons-nous ?
— Je vais me changer en cerisier, et toi en guêpe. Comme
maman adore les cerises, elle s’en approchera pour les cueillir ;
alors tu lui piqueras les doigts.
Ils se transformèrent comme convenu. Arrivée à leur proximité, madame Bouloukou ne résista pas à la tentation et se précipita pour cueillir des cerises et «Djoup ! » Ti-Jean (transformé en
guêpe) la piqua.
— Aïe, aïe, aïe ! Une guêpe m’a piquée.
Elle abandonna la cueillette et continua avec son mari.
Les enfants empruntèrent un nouveau raccourci, mais furent
bien vite rattrapés.
— La Florentine, que faisons-nous ?
— Ecoute, je vais me transformer en morne et toi en savon.
Quand ils passeront par ici, je vais essayer de les faire tomber.
Quand Bouloukou et sa femme grimpèrent sur le morne, La
Florentine accentua la pente et ils glissèrent sur Ti-Jean transformé en savon, perdirent l’équilibre et se tuèrent en tombant la
tête première dans un ravin.
Yé krik !
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