Sa mère est Martiniquaise, son père Camerounais. Laura Nsafou a commencé à écrire très jeune, très jeune aussi elle s’est impliquée dans l’afroféminisme, la défense du climat… Elle a d’abord été une autrice à succès de livres pour la jeunesse. Puis elle a écrit pour les adultes. Son dernier roman, Nos jours Brûlés, publié chez Albin Michel met en scène deux héroïnes qui tentent avec leurs seules forces de conjurer le sort qui a privé la terre du soleil et l’a plongée dans la Nuit. Jusqu’où iront Elikia et Diba, femmes noires, fortes de leur complicité, de leurs cultures, de leurs luttes et de leurs espoirs ?
Pourquoi le soleil a-t-il disparu ? Elikia ne le sait pas, elle ne sait que ce que sa mère lui a raconté : « Elle m’a dit que la Nuit n’avait pas toujours été là, qu’il fut un temps où une gigantesque boule de lumière éclairait le monde et révélait ses couleurs. Elle me parle de teintes que je n’ai jamais vues, d’une saison où il faisait si chaud qu’elle changeait l’odeur du blé et des arbres. » Puis, le jour a disparu. Elikia et sa mère sont parties à sa recherche. Elles veulent retrouver « Le Dernier Eclaireur », un homme qui aurait existé avant la Nuit dans un endroit caché en Afrique. Ainsi commence le roman planté dans un univers fantastique qui mêle la réalité d’une relation très forte entre mère et fille à une fiction prémonitoire.
Créola : Les femmes sont très présentes dans votre roman : deux femmes résolues, imprégnées d’une culture puissante, ne peuvent pas se résoudre à la nuit. Elles partent pour retrouver le soleil. Comment garder l’espoir quand la « grande nuit » s’impose au monde ? Est-ce une question de convictions, de vision de l’organisation sociale, de courage ?
Laura Nsafou : Complètement. C’était important pour moi de mettre Elikia et Diba, sa mère, en miroir : Elikia a d’abord l’impression de suivre, d’être contrainte d’adhérer aux idées de sa mère avant de se penser comme actrice de changement. Elle tâtonne, se contredit et se cherche au fil des rencontres et des expériences qu’elle traverse… Je voulais explorer ce qui nous pousse à sortir de nos considérations individuelles pour penser notre engagement politique au sein d’un collectif. Le temps, la trajectoire, les gens, sont autant de facteurs extérieurs essentiels.
Dans « Nos Jours Brûlés », vous avez défini la nuit comme un personnage : une nuit qui enseigne, la nuit comme alliée dans un monde sans lumière alors qu’à première vue, la nuit représente le danger suprême ?
L.N. : C’est exactement ce que je voulais explorer ! En m’inspirant de croyances afro diverses, je voulais questionner nos représentations : la nuit est très connotée dans notre imaginaire collectif, une représentation parfois nourrie par le christianisme et la culture occidentale. Mais pourquoi ? Est-ce que l’obscurité est forcément synonyme d’ignorance ou n’est-ce pas juste un désir présomptueux de vouloir tout savoir, tout de suite et maintenant ? Dans « Nos Jours Brûlés », la nuit a une voix, un rythme, et oscille constamment entre le danger extérieur et l’accalmie. Elle force finalement les personnages à avoir une confrontation avec eux-mêmes.
Comment ne pas penser en vous lisant que votre livre parle de notre avenir, de notre devenir, comme une prémonition…?
L.N. : Choisir l’année 2049 n’était pas anodin. Il y a un déni collectif sur les désastres climatiques grandissants et la manière dont ils impactent nos vies. On parle souvent de « en 2050 » comme d’un horizon lointain. À travers les yeux d’Elikia, il y a une immersion et une proximité avec ce futur sombre qu’on ne peut esquiver.
La transmission, surtout orale, est très présente dans Nos Jours Brûlés. Ce que vous appelez « la richesse d’expériences ». La parole qui transmet est-elle essentielle pour survivre ?
L.N. : Énormément. J’interroge souvent les femmes de ma famille, parfois sur les mêmes choses, et à chaque fois, l’oral et la confidence font jaillir de nouveaux détails, des ponts aussi, des similitudes, des frottements, qui seraient un peu désincarnés par l’écrit. Au fond, même le silence a une histoire, qu’on ne peut mesurer qu’avec la parole.
Comment pourriez-vous évoquer la naissance de votre conscience politique et/ou/féministe ?
L.N. : Elle a commencé inconsciemment avec ma mère. Elle a toujours été très vocale sur la réalité d’être une femme noire dans l’Hexagone, des discriminations éventuelles. Même si je ne comprenais pas quand j’étais jeune, ça m’a beaucoup touchée à l’âge adulte. Par la suite, j’ai découvert des concepts et des auteurs qui m’ont permis de nommer ces réalités, et de trouver un engagement en accord avec les luttes qui me tenaient à cœur, dont l’afroféminisme.
Que revendique l’afroféminime qui vous habite ?
L.N. : Déjà, l’afroféminisme étant un mouvement de luttes contre les discriminations subies par les femmes noires dans un contexte donné, il permet de créer des mobilisations collectives en prenant en compte les expériences spécifiques au racisme, au sexisme et au mépris de classe, sans nous demander de choisir. C’est important pour moi, d’être considérée dans mon entièreté. Ensuite, mon afroféminisme est ancré dans la transmission : comment s’assurer de laisser des traces, d’aller à la recherche de celles qui ont été effacées par l’histoire et de consolider un héritage sur nos identités et nos réalités ?
Le livre
Nos Jours brûlés
Au départ de sa démarche d’écrivaine, Laura Nsafou est partie d’un constat. Il n’y a pas ou presque, en France, de roman dont le sujet serait une femme noire. Elle s’est, dit-elle, « trouvée face à une littérature française qui ne m’inclut pas ». Si la littérature française peine encore à représenter les femmes noires, Laura Nsafou, militante, ouvre la voie dans ses romans dont le dernier « Nos jours brûlés » avec ses héroïnes noires, fortes de leurs cultures, de leurs luttes et de leurs espoirs.
Une écriture qui oscille entre deux mondes. Le monde des origines se confronte à un univers fantastique. Elikia et Diba vont voyager à travers la Casamance sénégalaise, l’Adamaoua au Cameroun, en passant par le Bénin et le Brésil. Elles marchent animées d’une foi invincible. Un roman qui, entre les lignes, parle de nous aussi, de ce qui pourrait nous arriver si nous restons impuissants devant l’urgence climatique, devant toutes les urgences qui menacent la Terre et l’humanité. La démarche d’écrivaine de Laura Nsafou est politique, engagée. Dans Nos jours brûlés, l’homme a perdu sa mainmise sur la nature, il ne la domine plus. Elle lui est hostile. La nuit l’a brutalement ramené aux temps anciens où pour trouver sa place dans la nature, il devait s’en inspirer.
Il y a des paysages fabuleux dans ce roman et surtout des personnages, et tout ce qui les habitent : la conscience, l’âme, le courage. L’écriture palpite au rythme des aventures des héroïnes, dans ce royaume de la nuit qu’elles combattent à main nues, parfois découragées, parfois épuisées. Mais leur cœur battant est indestructible.
Texte: Aimée Petit
Photo: Lorna Doumbe