En plein cœur de Deshaies, voyage sensoriel, métissages de produits locaux et parfums d’Asie : telle est la promesse faite au Paradise Kafé !
Avant même d’y entrer, nos sens sont déjà en éveil. Celui de l’observation d’abord, pour dénicher l’étroit passage – presque secret ? – menant à cette bulle gustative bénie des dieux. Un Bouddha au sourire communicatif semble nous tendre les bras, alors que l’on découvre le patio tout ouvert sur la plage.
L’ambiance est très colorée et chamarrée d’objets d’artistes – comme ces fragments de créations du sculpteur deshaiesien Babiche -, recyclés comme certains garde-corps de l’ancienne habitation Coluche ou encore faite de matériaux détournés.
Elle est à la fois simple et très chaleureuse. Unique en son genre, l’adresse, intime et conviviale, est recherchée et la réservation est conseillée avant de pouvoir s’attabler. Les repas sont servis le dimanche midi, mais surtout le soir, du vendredi au mardi. Et l’on comprend pourquoi, lorsque les bleus outre-mer s’empourprent et rougissent de mille feux au couchant, face au restaurant.
La carte de cette cuisine « Gwad’Asiatik » repose sur un jeu de recettes et des ingrédients de base agençables à sa guise. Sa lecture est d’ores et déjà une invitation au voyage : Bo Bun aux ouassous, Khao Pad, Pad Thai, Tom Yum au marlin… Tout juste si l’on ne perçoit pas le vent dans les bambous, ici habilement remplacés par des buissons de citronnelle et quelques petits palmiers. Les pieds dans le sable blond, on observe deux canots saintois régatant entre les voiliers à l’amarre. En allers-retours incessants entre mer des Caraïbes et golfe de Thaïlande, voici notre esprit revenu en Guadeloupe, prêt à déguster une délicieuse Déhésienne.
Paradise Kafé : Téléphone 06 90 19 40 09 / 83 Boulevard des Poissonniers / 97126 Deshaies Guadeloupe. Réservation conseillée / Service de 17h à 21h du vendredi au mardi + dimanche midi
Cette histoire s’inspire de l’extraordinaire ambiance de Noël des campagnes antillaises. Dans les foyers, la relation organique à nos traditions prend sens à l’approche de ces instants précieux. Avec nos petits cochons de campagne, voici le boudin tant prisé des fêtes de fin d’année au son des chanté Nwèl bo kay.
Pour les familles et amis réunis, c’est un rituel célébrant le passage de la vie du cochon à une seconde vie sur nos papilles, dans nos assiettes joliment apprêtées. Il y a cette fascination autour du meilleur boudin. On se doit de réussir LA bonne recette, car chaque petit et grand lieu vous donne à goûter le bon boudin rouge ou blanc. C’est… incroyable !
En décembre l’air s’imprègne du met délicat. Singulier parfum d’épices, d’aromates, de piments, clous de girofle, feuilles de bois d’inde. Savant mélange de feuilles de bananier séché, d’oranges sûres, de limes, de citron… Le bouillon crépite sur la braise, au-dessus des feux de bois sauvages ou des gazinières fortement sollicitées. Ah ! On aime le boudin, il n’est jamais pareil selon le tour de main : les secrets de chaque fourneau nous embarquent dans de savoureuses variations de goût.
Longtemps, la présence des animaux dans la vie de la campagne fut essentielle au quotidien. Les enfants avaient leurs tâches à accomplir, après l’école, indispensables au bien-être de la famille. Avoir des poules, coqs, canards, cabris, lapins était courant, mais élever des ti cochons complétait l’équilibre de la famille, enfants et parents unis dans une complémentarité complice. Man ké fè cochon a pou Nwel ! Alors tous, familles, amis, voisins réservaient leur part de viande et de boudin. La réputation de la qualité, du goût, du savoir-faire du boudin garantissait à l’avance des revenus précieux au foyer, et aux enfants, des cadeaux. Des petits sous pour la tirelire et le carnet de caisse d’épargne mais aussi la fierté d’avoir élevé et partagé une viande appréciée.
Les enfants, nourrir le cochon exigeait de la discipline. Entre récupérer les restes des repas, ramasser les fruits, les légumes et couper l’herbe grasse pour le nourrir et nettoyer le parc, brosser l’animal, le travail était dense. Il fallait penser au résultat (le gain d’argent de poche) pour se donner du cœur à l’ouvrage. Les familles avaient plusieurs cochons de tailles et de races différents. Ainsi a perduré cette belle tradition, nécessaire à la vie de la famille.
L’art de faire le boudin est un sublime mélange d’épices, de plantes du jardin créole, d’ingrédients choisis avec soin et de méthodes transmises de génération en génération. La farce du boudin est une savante organisation de morceaux minutieusement choisis : parties maigres ou grasses mélangées aux épices, au rouge du sang et aux incontournables ingrédients des bonnes recettes. Ma clé pour réussir la vraie recette est l’inspiration, les goûts subtils, forts, doux, épicés, les différents dosages. C’est le wap wap épi bon zépis : la discipline mêlée à l’inspiration.
Le boudin créole de la campagne est unique au monde ! En famille, entre amis, quel meilleur moment que celui des fêtes de fin d’années pour partager tout cela ?
Une recette… comme une inspiration
Jean-Michel Cabrimol, artiste musicien du groupe La Maafia, nous invite à partager sa passion pour l’art culinaire antillais. Il nous transporte dans la grande cuisine authentique et savoureuse, en immersion dans les secrets des manmans doudous et des papas doudous aux fourneaux. Il part à la rencontre du jardin créole, en complicité avec les agriculteurs, les pêcheurs et les éleveurs. Son inspiration : « bon manje & mizik peyi-a ».
Pour sublimer notre boudin, il faut les indispensables bouquets garnis géants et la récolte des herbes fraîches du jardin créole. Sont indispensables aussi le persil, le petit thym, l’ail, l’oignon péyi, l’oignon France, le piment végétarien, le piment fort, le bois d’Inde vert. Ils se découpent délicatement, s’il vous plaît, au couteau chien !
Les pincées de poivre en poudre, clous de girolles, graines de bois d’Indes, du sel aussi, avec un peu d’huile… Ils vont se mélanger aux pains rassis mouillés pour créer la farce, colorée au sang rouge du cochon. Cette farce repose, elle est versée, ensuite, dans l’entournoir, rempli doucement avec une baguette de bois (bois de Campeche si possible) dans les boyaux bien nettoyés et lavés à l’orange bien-sûr ! On place le boudin pour séparer les parts avec des attaches de feuilles de bananiers secs, ou du fil de cuisson. Entre temps, dans un grand faitout, l’eau bouillante est parfumée de feuilles de bois d’Inde et de bananiers sec, de piment doux et d’épices, à votre guise. L’eau reçoit les nattes de boudin pour une cuisson parfaite.
Les dosages font partie du tour de main de chaque inspirations secrètes…
Nous pouvons être fiers d’une tradition façonnée à notre image et perpétuée depuis des siècles : le chanté Nwel.
Du latin au créole
Comme l’écrivait Miguel de Unamuno, poète, romancier et philosophe espagnol, « La mémoire est à la base de la personnalité individuelle comme la tradition est à la base de la personnalité collective. » Tradition séculaire, le chanté Nwel perdure depuis le 17e siècle aux Petites Antilles. Importée par les colons qui perpétuaient eux-mêmes cette tradition chrétienne depuis le 2e siècle après JC, elle est alors constituée de chants liturgiques ou de cantiques composés et chantés en latin pour célébrer la naissance du Christ durant tout le mois précédant sa venue : la période de l’Avent.
Aux Antilles, jusqu’à la fin du 19e siècle, les chorales de Noël sont formées uniquement de choristes selon les traditions venues d’Europe, et les cantiques sont chantés en français. Par la suite, des refrains en créole complètent les cantiques et les rythmes du bèlè et du gwo-ka sont introduits avec les tambours et les ti-bwa. C’est ainsi que les cantiques de Noël, catholiques et européens, qui remontent au Moyen âge, prennent leur place dans la tradition musicale créole.
Mettre à distance par le rire
Mélange de profane et de sacré, le chanté Nwel se construit néanmoins, peu à peu, dans l’émancipation du cadre originel. Façonnant les textes à sa façon par des improvisations créoles humoristiques au sein des refrains, autrement appelés des « ritournelles », la société antillaise s’approprie cette tradition, la revisitant à sa sauce, avec cette dérision nécessaire pour remettre en question et le sérieux du religieux et le modèle dominant des colons venus imposer leur religion catholique.
Ce syncrétisme dont sont dotés les chants de Noël – qui va jusqu’à désacraliser ce moment de gloire à Jésus – révèle très certainement la volonté d’échapper à un diktat, de s’affranchir de celui-ci en le mettant à distance par le rire. L’exemple de la chanson Michaud veillait (un berger qui passait avec son troupeau le soir de la naissance de Jésus) est, à ce titre, très parlant. Quand, dans le refrain, il est scandé : « Il se mit à chanter. Je vois, je vois l’étoile du berger », la ritournelle en créole répond alors : « Sé pa dot ki koppè Michaud ki di Sen Joseph pa papa Bondyé » (« Ce n’est pas autre que compère Michaud qui a dit que Saint Joseph n’était pas le père du bon Dieu (Jésus) »).
Tony Mango, professeur de créole, créoliste et président de l’association Eritaj estime, quant à lui, que « le créole ne vient pas en opposition ; il se moque de la place dominante accordée à la religion catholique dans notre société et développe des discours non religieux, portés sur la nourriture ou encore le rhum, une boisson importante dans notre économie et notre histoire. C’est la preuve du caractère syncrétique du « chanté Nwel » et de la manière dont les Antillais se sont réappropriés le christianisme. »
Gwoka et bèlè
Autre caractéristique de cette pratique permettant de s’affranchir d’un modèle dominant tout en mettant en avant une identité propre : l’importance accordée aux instruments, d’origine africaine, lors de ces rassemblements, tels que le gwoka (Guadeloupe) ou le bèlè (Martinique). « Le gwoka porte les enjeux d’un territoire » rappelle Patrick Solvet, membre de l’association Rèpriz. De par leur histoire, le gwo ka comme le bèlè, en effet, véhiculent des enjeux identitaires : s’ils furent à l’origine les instruments d’émancipation de l’autorité du maître, ils résonnent aujourd’hui de ce souffle de vie, de cet élan de vie parvenu à s’extraire de la censure.
Autant dire que derrière l’aspect festif et convivial de cette coutume du chanté Nwel, aux rythmes endiablés de la biguine, du mazurka, de la valse créole ou encore du zouk, c’est toute une symbolique, consciente ou inconsciente, qui se joue. Car si nous sommes heureux de nous retrouver et de partager des valeurs humanistes telles que la solidarité, l’entraide, la bienveillance, la simplicité, l’amour, nous savons aussi l’importance qu’elle revêt dans l’affirmation d’un patrimoine culturel et d’une identité singulière propres aux Martiniquais et aux Guadeloupéens.
Jeune public
En ce sens, il n’est pas anodin de constater l’évolution de cette tradition au sein même de la population. En 1988, lors de son premier concert de chanté Nwel, Benzo, directeur artistique de Kasika et conteur renommé en Guadeloupe, constatait que n’étaient alors présents que les « anciens » : une population âgée de cinquante à quatre-vingts ans. Or, au fil du temps, les chantés Nwel ont connu un certain engouement auprès d’un public plus jeune. Des jeunes qui, selon Benzo, ne se reconnaissent plus dans le reggae et la salsa et qui ont besoin de s’identifier à leurs racines, à leurs origines : « Ils désirent une musique qui leur ressemble, qui les identifie. » analyse-t-il.
La popularité de cette coutume suivie aujourd’hui par un public large est aussi l’occasion de « créer du lien social », pour reprendre le propos de Timalo, romancier et activiste créole.
Dans cette grande vague du chanté Nwel, tous les secteurs d’activité sont d’ailleurs concernés : écoles, associations, entreprises, espaces familiaux, collectivités, crèches, bandes de copains… Le chanté Nwel a contaminé toutes les couches de la population et tous ses domaines pour la joie des petits et des grands.
Un mois de concerts
Autrefois réunis autour du rhum, du sirop d’orgeat et du chocolat chaud, nous nous rassemblons désormais autour d’un grand buffet créole où pâtés à la viande, boudins créoles, ragoût de cochon, pois d’angole et jambon caramélisé au sucre de canne accompagnés de rhum, de ti-punch, de schrubb (et de punch coco s’étalent à profusion pour célébrer, dans l’abondance, la joie de se retrouver…lorsque les conditions géographiques le permettent. Car la pratique du chanté Nwel a évolué. Jusqu’à la première moitié du 20e siècle, des groupes chantaient de maison en maison avec des instruments de fortune fabriqués avec les moyens du bord, comme des boîtes de conserves dans lesquelles on mettait des petites graines servant de percussions. Mais comme le précise Benzo, « maintenant que les gens d’une même famille habitent éloignés les uns des autres, il devient plus difficile de perpétuer la tradition. C’est pour cela que nous organisons des concerts gratuits de chanté Nwel. »
Aux commandes de ces concerts, on retrouve des groupes guadeloupéens tels que Cactus Cho, Nwel à Kastel, ID-OR, Zoulaka, mais aussi martiniquais tels que Ravine Plate et Yann Sasa. Les formations font des tournées durant tout le mois de décembre dans les Antilles et l’Hexagone.
Par-delà l’océan
Aujourd’hui cette tradition est toujours bien vivante aux Antilles mais aussi dans l’Hexagone, grâce aux familles, aux groupes de musique et aux associations. Parmi elles, l’association antillaise Otantika, basée à Rosny-sous-Bois, est particulièrement active. « C’est important que ces traditions perdurent, quand on n’a pas l’occasion de rentrer dans notre île durant les fêtes de fin d’année, on se sent triste de rater tout ça », confie Yasmyn, Guadeloupéenne et ex-présidente d’Otantika. Et pour les Antillais qui n’ont pas grandi en Martinique ou en Guadeloupe, « ils sont contents de découvrir, de s’immiscer dans leur culture à 8000 kilomètres et de la faire découvrir à tous ceux qui ne sont pas des Antilles », déclare Gerty Trival, responsable des prestations de l’association.
Dépassant les frontières temporelles et géographiques, la tradition du chanté Nwel a bel et bien traversé les siècles et les océans pour s’inscrire dans le cœur des Antillais, pour qu’ils continuent de chanter cet amour et cette joie universels.
Longtemps nous avons tourné le dos à la mer. Et puis, peu à peu, dans le sillage du XXe siècle, littoral et océan se sont parés d’un attrait irrésistible.
Longtemps la plage et les flots qu’elle borde furent perçus comme une continuité de l’île de la plantation. Pour y habiter, parfois pour y pêcher. Longtemps, la plage fut cette marge ouverte à tous dont parfois on se méfiait : on ne l’abordait que quelques heures dans l’année, à Pâques ou à la Pentecôte. Longtemps, pour se ressourcer, nos îles paysannes ont préféré non pas la mer mais la montagne, la rivière.
« Dans cette contrée-ci, par exemple, à Goyave, en Guadeloupe, il y avait sans arrêt du monde », se souvient l’écrivaine antillaise Simone Scharwz-Bart. « Pendant les vacances, les petites cases se remplissaient de citadins quittant la ville pour « venir respirer », disaient-ils. Respirer, cela voulait dire aller à la rivière. Cela voulait dire manger des écrevisses.
Dans les rivières il y avait énormément de nasses, énormément d’écrevisses, qui n’étaient pas chlordéconées, des écrevisses magnifiques, un plat de roi. On pouvait les déguster à satiété. En ce temps-là, dans ces cours d’eau superbes, les gens prenaient plaisir à emmener leur linge, étalé sur les pierres et séché au soleil.
Ils lâchaient dans le courant, avec les vêtements qu’ils lavaient, tous leurs soucis, toutes leurs charges de l’année. Parce que la rivière n’était pas seulement un lavoir, c’était aussi un lieu de rencontre. Les gens s’asseyaient, prenaient le temps de bavarder, vraiment. Les adultes pouvaient raconter des contes aux enfants, pendant que l’eau coulait. Et il y avait ce bruit de l’eau. C’est un autre bruit que la mer. La rivière a un tout autre chuchotement. Elle apaise.
Et puis, au fur et à mesure que le temps avançait, il y eut une inversion de la tendance. Les personnes qui avaient voyagé, ou les Hexagonaux, lorsqu’ils arrivaient ici, occupaient les communes et préféraient les lieux situés en bord de mer. Certaines choses nous interpellaient : voilà qu’on pouvait voir des gens couchés sur les plages, étendus au soleil pendant de longs moments.
Cela nous paraissait complètement aberrant. Parce que nous, nous mettions un chapeau pour nous protéger du soleil. Parce que le soleil pouvait donner des maux de tête, mal aux yeux. Parce que le soleil est violent. On se disait : quelle grande folie de s’étaler au soleil comme cela. »
Lanmè pa ni branch
« Petit à petit, les gens ont commencé à se dire également : eh bien, si ceux qui viennent d’ailleurs, de loin, trouvent une beauté à venir là, c’est que peut-être il y a quelque chose. Mais, en même temps, persistait une peur de la mer. On se rappelait les cyclones, les raz de marée, on se méfiait. Chez les habitants, il y avait toujours une grande méfiance de l’eau.
A cause de ce qui était advenu et de ce que les anciens nous racontaient des dégâts de la mer et de ce qu’ils avaient perdu : des biens et des vies humaines. On nous racontait des scènes tellement prenantes, on nous racontait ces femmes avec leurs enfants dans leurs dos qui étaient montées aux cocotiers et avaient été arrachées par les vagues de la mer. Toutes ces images faisaient qu’il y avait une méfiance, comme si les personnes qui étaient venues prendre possession des plages et bronzer au soleil ne connaissaient pas, ne savaient pas ce que c’était que la mer.
D’ailleurs, dès que l’on s’approchait de la mer nos parents nous rappelaient ce fameux proverbe créole : « faites attention, lanmè pa ni branch » (la mer n’a pas de branches). La mer, c’est l’abîme. Il y avait aussi ces chansons qui disaient : la mer ne tarira jamais car elle est chargée des pleurs des hommes. Des proverbes magnifiques mais qui vous marquent. Les parents continuaient en disant : « il n’y a pas suffisamment de pierres sur la terre pour combler la mer. »
Ces proverbes prophétiques étaient nés d’une autre mémoire, plus originelle je pense, d’une mémoire de la traversée qui, même si elle n’était pas rappelée telle qu’elle s’était présentée à l’époque, était évoquée, sans description, juste évoquée complètement de bais. Il est vrai qu’à l’époque on ne s’étendait pas sur la catastrophe de l’origine, parce qu’on voulait en guérir. On ne voulait pas non plus communiquer aux générations à venir une blessure trop importante à cicatriser.
Maintenant, le rapport est tout autre évidemment : c’est un rapport de plaisance aussi, tous ces plaisirs que l’on peut découvrir, que les jeunes ne boudent pas. Il y a désormais une perception complètement différente de l’eau. »
Art sacré
« Et même s’il n’y a pas chez nous, comme en Afrique par exemple, le clan des forgerons, celui des orpailleurs et celui des pêcheurs, il y a tout de même un groupe de personnes qui sont restées fidèles au bord de mer et pour qui la pêche est une sorte d’art sacré. Nombre de nos compatriotes sont d’obédience chrétienne, et pour eux le poisson est un signe, les pêches miraculeuses dont on parle dans la bible, ils s’en
réfèrent, et le canot ne commence pas sa vie sans être béni. Les pêcheurs sont des passionnés.
Mes grands-parents ont longtemps habité l’îlet Brumant, en face de Pointe-à-Pitre. Mon grand-père était pêcheur. Quand le cyclone de 1928 l’a dépouillé de son habitat sur cet îlet, il est venu s’installer ici, au fond de la campagne goyavienne, mais il n’a jamais abandonné son bateau au bord de la mer. Chaque semaine il avait besoin d’aller à la mer pour en tirer sa subsistance, poser et lever des nasses, distribuer du poisson à toute la population de Goyave.
C’était aussi une époque où les langoustes étaient tellement généreuses qu’elles coûtaient beaucoup moins cher que le poisson. Nos compatriotes ont toujours préféré le poisson à la viande il me semble, ils ont toujours privilégié le poisson, et le poisson frais, il fallait qu’il soit frais. Ils ont toujours aimé guetter l’arrivée des canots sur le rivage pour s’offrir du poisson très frais. C’était une grande fête cela aussi, comme une récolte d’un autre type, de mets vivants, de poissons vivants qui allaient fortifier l’humain, parce que les choses vivantes renforcent notre énergie et nous restituent la santé, c’est ainsi qu’on le perçoit ici. »
L’énigme de l’origine
« Alors, je ne peux pas m’empêcher, debout sur la plage de Sainte-Claire, à Goyave, de contempler cette mer qui ceinture nos petites îles. Finalement, c’est bien l’eau qui agrandit notre pays, c’est l’horizon des ailleurs qui nous est offert, c’est le rêve aussi, c’est l’envol et le détachement des contingences. C’est aussi cela la mer : dans de petit pays comme les nôtres, qui sont relativement préservés, on peut donner à la mer tout ce qui lui revient, de beauté, d’énigme, d’origine également. Voilà, il y a tout cela. Il y a aussi, aujourd’hui, un retour aux rivières. Les gens recommencent à fréquenter l’eau qui court, et c’est bien qu’il y ait les deux eaux, l’une douce et l’autre salée, comme tout ce qui vit et qui a deux faces. »
Un littoral qui offre une grande variété de paysages :
Elles sont situées au centre de l’arc volcanique des Petites Antilles, entre Sainte-Lucie et Antigua : sans doute la Martinique et la Guadeloupe puisent-elle dans l’énergie tellurique leur singularité, creusets d’un extraordinaire ressourcement de leur culture, de leur patrimoine, de leur langue. Rares sont les départements français qui déploient avec autant de panache et de passion la force de leur identité. Ici, la vie, la force des liens familiaux, la mémoire des gestes ancestraux et la nature, omniprésente, à la profusion folle, prennent toujours le dessus. Une nature qui s’impose par sa puissance à l’intérieur et à l’extérieur, dans le secret des mornes, dans la touffeur des frondaisons et à la cime d’arbres centenaires ; mais aussi sur le trait d’horizon, au gré de l’onde et de rivages somptueux, que l’on adore, que l’on redoute aussi, à certaines périodes de l’année.
Dans ce second numéro, Créola plonge, sonde cette relation que nous tissons avec le fil de l’eau depuis des siècles, de la rivière à l’océan, du saut audacieux à la mangrove racine, rapport intime et ambivalent, angoissé parfois et puis, finalement, gagné par le bercement souverain des flots, serein. Serein et fécond.
Dans son roman « La Case du commandeur » édité en 1982, Édouard Glissant l’écrivait déjà : personne ne peut mieux que nous aimer ce pays, sa géographie folle et ses puissants élans, son besoin absolu de saisir la vie. Un pays dont l’horizon s’ouvre et grandit, terre désormais infinie, lorsque le regard épouse les ondulations de l’Atlantique et de la mer des Caraïbes.
Julie Clerc, Rédactrice en chef
Au sommaire de ce nouveau numéro :
FENÊTRE OUVERTE – LE SOUFFLE DES ALIZÉS P. 9
Pépites créoles
Dina Benouet, capitaine de vaisseau digital
Carte blanche
Le portfolio de Jérôme « GGpiks » Nadessin
Un livre, un auteur
Patrick Chamoiseau, guerrier de l’imaginaire
Cultures métisses
Livres, festivals et opus : des nouveautés à dévorer !
Grand angle
La mer, source de vie et de poésie
Transat Jacques Vabre
Cap sur la Martinique !
VIVRE EST UN ART P. 51
Noël créole
Du goût et du chant
Un resto sur le grill
Les saveur gwad’asiatik du Paradise Café
Le DIY gastronomique
Le khao pad aux ouassous d’Anne Rilcy
Échappées belles
Les Flots Bleus, le gîte à fleur d’eau
PAR NATURE P. 71
La caraïbe passe au vert
Chantier d’insertion, requins, coraux et littoraux à protéger
Le bon chemin
Guadeloupe – Plongée dans la Réserve Cousteau des îlets Pigeon
Jardin créole
Préparer son sol
Un lieu, une histoire
La Désirade, terre de marins
Un conte
Oriyou et le pêcheur, conte arawak de Praline Gay-Para
À retrouver dans tous les points de dépôt habituels
et à feuilleter en ligne en cliquant ici. Merci de votre confiance et bonne lecture !
C’est l’histoire d’un rêve éveillé : quand trois frères, leurs épouses et leurs parents décident de faire du domaine familial, aride, une bulle de verdure et de bien-être pour les amoureux de nuits insolites.
« Cette pente n’était qu’un vaste toboggan de broussailles brûlées par le soleil quand j’étais petit », sourit Deive Girier-Dufournier, co-gérant du Domaine des Bulles.
Difficile à imaginer, face au potager en étages de la table d’hôtes bordé de lauriers, de bougainvilliers et sous l’ombrage d’un flamboyant géant ! La terrasse-restaurant jouit d’une vue plongeante sur la baie de la Pointe du Vauclin et le menu y est chaque jour renouvelé.
Le soleil s’en est allé derrière la montagne du Vauclin, dans une symphonie de dégradés empourprés. Les premières étoiles scintillent déjà au-dessus de nos têtes et Franck nous fait partager sa passion pour l’astronomie, en déployant sa lunette.
La lune est au zénith et nous y déambulons, de cratère en océans de lave pétrifiée… Notre esprit vagabonde dans cet espace d’observation poétique, bercé par les chants des kabrit-bwa* et des rainettes.
Sous la course des nuages, les ombres s’allongent et nous regagnons l’intimité de notre « bulle minérale », parmi les quatre du Domaine.
Glissés dans le grand lit, lumières éteintes, la nuit bleue nous enveloppe, la vue de la canopée des gommiers rouges, mapous gris ou bois tibou, piquée d’étoiles, hypnotise. Un léger écho accompagne nos murmures baignés des sons feutrés de la nature. Le spectacle est grandiose et apaisant, toujours changeant. Au réveil, bien rare est celui qui, du rêve ou de la réalité, aura su faire la différence…
Les architectes des bâtiments publics aux Antilles ne se sont pas facilement laissé tenter par les codes de l’architecture créole. Il a fallu que la nature déclenche des événements ravageurs pour qu’enfin les bâtiments publics se « créolisent ». Présentation de deux de ses fleurons par Jean-Michel Guibert, ancien architecte des Bâtiments de France.
Jean-Michel Guibert s’interroge : « Peut-on parler d’architecture créole en ce qui concerne les bâtiments publics ? Parce que pour moi, cette architecture semble essentiellement vernaculaire. Cependant… ». C’est dans ce « cependant » que l’architecte va développer la réponse à sa question. Car, oui, il y a eu des étapes importantes qui ont bouleversé l’architecture des monuments publics, en Guadeloupe. Il y a eu d’abord le séisme de 1843 et le terrible cyclone de 1928 qui ont quasiment tout détruit, mais qui ont été à l’origine de deux révolutions architecturales majeures.
L’église Saint-Pierre et Saint-Paul à Pointe-à-Pitre
Complètement détruite par le séisme, il a fallu la reconstruire du sol au clocher. Le casse-tête pour les architectes a été de trouver une solution fiable pour qu’elle résiste et reste debout contre vents et marées. « Ils ont inventé une méthode parasismique, en avance sur son temps et résolument moderne. La structure métallique faite de poteaux et de charpentes métalliques a été séparée du mur de maçonnerie traditionnelle de pierre et de chaux qui a été renforcé par une double armature de fer. Ces architectes venaient, en fait, d’inventer une forme de maçonnerie armée qui annonçait la naissance du béton armé », précise Jean-Michel Guibert.
Ali Tur…
En 1928, le cyclone et le violent raz-de-marée qui a suivi détruisent, en Guadeloupe, l’essentiel des bâtiments faits de pierre et de bois. Un architecte nommé Ali Tur est missionné par le gouvernement pour reconstruire des bâtiments publics, mais aussi privés, en Guadeloupe. Il écrira plus tard : « Le Gouvernement nous donna mission d’étudier le problème de la reconstruction des édifices gouvernementaux. L’habitation ou le palais doivent donc, l’une comme l’autre, pouvoir être nuit et jour ventilés… Des auvents…abriteront les ouvertures des rayons du soleil ». Ali Tur développe un style très marqué pour son époque et impose comme élément emblématique de son travail le Palais du gouverneur qui deviendra la préfecture, à Basse-Terre.
Comment se fait-il qu’en dix ans, Ali Tur ait réussi à révolutionner si profondément l’architecture de la Guadeloupe ? « Parce qu’il a travaillé avec des architectes locaux qui ont continué son œuvre sur place et qui ont marqué les années soixante », explique l’architecte. Pendant qu’Ali Tur bouleversait les codes en Guadeloupe, la Martinique restait adepte des styles néo-classiques, plus consensuels, en continuant à priser les colonnes, fer de lance de l’architecture du 19° siècle, comme en témoigne la très emblématique préfecture de Martinique, construite en même temps que le Palais du gouverneur, en Guadeloupe.
Son nom n’est pas un hasard. La trois tasses, on en met trois feuilles dans une tasse, trois fois par jour, pendant trois jours, pour lutter contre les états grippaux.
Voici un arbuste à planter absolument aux abords de la maison. La twa tass, ou lippia alba, c’est la brisée en Martinique (humez la forte odeur qui s’en dégage lorsqu’on brise la feuille!). Une plante aromatique d’un à deux mètres de haut aux branches longues et flexibles. Répandue en Amérique tropicale et subtropicale, la trois tasses, atoxique, est utilisée pour les maux des adultes comme des bébés. Les nourrissons raffolent de sa saveur et de son parfum citronné. En échange, elle soigne leurs coliques.
Ses vertus ? Elle lutte contre l’irritabilité et favorise le sommeil, facilite la digestion, calme les ballonnements. Plante médicinale et gastronomique, elle fait fureur, à table, sous forme de boisson fraîche (que vous obtiendrez en mixant une poignée de feuilles fraîches). Elle assaisonne les fruits de mer et les notes acidulées de ses feuilles ciselées se savourent au gré de vos salades.
Plantation
Pour la bouturer, il suffit de sectionner 15 cm de tige : l’extrémité, plongée dans l’eau, produit des racines en une semaine. Elle peut aussi être plantée directement en terre. Ses branches cherchent le sol où elles s’enracinent et génèrent un autre pied. Elle préfère le soleil, qui garantira des feuilles plus aromatiques.
Usages
En cas de grippe ou de rhume, préparer une décoction avec 15 g de parties aériennes ou de feuilles fraiches dans ½ litre d’eau. Faire bouillir pendant 5 minutes. Filtrer et boire une tasse trois fois par jour pendant trois à sept jours.
La reconnaissance des plantes médicinales caribéennes
Le réseau TRAMIL, programme de recherche appliquée à l’usage populaire des plantes médicinales dans la Caraïbe, co-fondé par le docteur Henri Joseph, y travaille depuis trente ans. « Grâce à ses travaux, en 2005, deux plantes de chez nous entrent dans la pharmacopée française : la trois tasses et le dartrier. Depuis, elles intègrent la composition de traitements phytothérapeutiques. » se félicite Hugues Occibrun, co-fondateur de l’association 100% Zèb.
Sources : association 100 Zèb (FB 100 Zèb-Plantes aromatiques et médicinales caribéennes) et « Pharmacopée végétale caribéenne », édition TRAMIL – CANOPE de Guadeloupe, 2014.
Yuh body, un clip rempli d’émotions sur un amour lumineux
Plaisir, désir, sont les mots que Lycinaïs Jean choisit pour parler d’elle. Dans son dernier clip « Yuh body », on retrouve la chanteuse et sa façon très personnelle d’exprimer ses émotions, elle qui aime partager ses doutes, ses espoirs, ses passions dans un bel équilibre entre différentes inspirations musicales.
Le clip Yuh body extrait de son dernier album – Meche Reb’l – célèbre l’arrivée imprévue d’une personne dans la vie d’une autre par le biais de sites de rencontres.
Histoire vraie ? Histoire rêvée ? On ne le saura pas. Un clip très sensuel inspiré par une passion immédiate, irrésistible, entre femmes : « Laisse-moi toucher ton corps… ».
Yuh body a été tourné par le réalisateur Mike Saint Auret, en Guadeloupe, sous le soleil caribéen où la chanteuse aime s’inspirer et protéger ses amours.
C’est une histoire pour enfants, l’histoire de Tania, une éléphante qui guide sa harde dans la savane africaine. C’est une vieille éléphante, elle connait tous les dangers. Elle sait que l’herbe ne pourra pas pousser, s’il ne pleut pas. Or il ne pleut toujours pas. Les jours passent, le ciel reste désespérément bleu. Il faut attendre et marcher. Attendre et marcher…
La harde ira jusque dans des zones inconnues et hostiles, mais comment résister à l’appel d’un marécage ? Ce qui se passera là, au cours de cette nuit et de ce petit matin sera à la fois signe de disparition et de renaissance. Blessée, Tania pourra s’allonger à l’ombre d’un grand arbre et partir en paix puisqu’elle aura réussi à sauver ses compagnons de la sécheresse.
Le Marie-Galantais, Alex Godard, illustre le livre avec la poésie qu’on lui connaît, qui colore et magnifie les émotions de couleurs pastel.
L’auteur Michel Piquemal inclut, dans ses histoires pour enfants, des sujets de réflexion. Il le fait tout en douceur et laisse à l’enfant le choix de s’interroger. Pourquoi la pluie ne vient-elle pas comme elle le faisait auparavant ? Quel est le rôle de l’ancêtre dans un groupe ?
Michel Piquemal est aussi l’auteur de Les Philo-fables, livre dans lequel il propose de faire de la philo pour les enfants de huit et neuf ans avec soixante courtes histoires, fables, paraboles ou contes (Ed. Albin Michel Jeunesse). Il est allé puiser dans les traditions du monde pour y trouver des histoires qui amusent, étonnent et donnent à réfléchir sur l’amitié, le bonheur, la justice, le droit, le destin, la mort, la vérité, le détachement, la pauvreté…
L’éléphante qui cherchait de l’eau. Michel Piquemal et Alex Godard. Ed. Albin Michel Jeunesse