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Mélanie de Jésus dos Santos, un rêve olympique

Mélanie de Jesus Dos Aantos (photo : Aurélien BRUSINI)

La nouvelle perle de la gymnastique artistique française est née en 2000, à Schoelcher en Martinique. Avec quatre médailles d’or aux championnats d’Europe, elle trône sur le continent européen depuis quatre ans, et rêve toujours plus grand.

Comment as-tu vécu ton départ des Antilles à douze ans ?
MDJDS : C’était très difficile au début : quitter ma famille, le mode de vie antillais, le soleil… Mais c’était pour quelque chose que j’aimais, donc ça s’est bien passé. La gymnastique fait partie de ma vie. J’adore ce sport ! J’avais envie de voir à quoi ressemble le haut niveau. Je me suis dit : « Allez, je me lance, j’essaye ». Et ça m’a plu ! J’ai la chance d’avoir deux entraineurs qui me suivent et m’entourent depuis mon arrivée au Pôle : Eric Hagard m’entraine au sol, aux barres, au saut. Monique Hagard, elle, m’entraine à la poutre. Elle est ma chorégraphe pour le sol. Au Pôle, c’est comme une grande famille, j’ai vite accroché avec le mode de vie à Saint-Etienne.

A vingt-et-un ans, tu as déjà un impressionnant palmarès !
MDJDS : J’ai commencé la gymnastique au club La Gauloise de Trinité, en Martinique. Je m’amusais beaucoup ! J’ai ensuite enchaîné plusieurs stages nationaux. A onze ans, j’ai été accueillie pendant deux semaines au Pôle France de Saint-Etienne. Les entraineurs ont apprécié mon travail et m’ont proposé d’intégrer le Pôle ; ce que j’ai fait sans hésiter ! Je me suis alors préparée pour les compétitions internationales. J’ai décroché la 3e place aux Championnats d’Europe et la 5e aux Championnats du Monde en 2017. Je suis devenue championne d’Europe au sol et vice-championne d’Europe par équipe en 2018, avant d’être sacrée championne d’Europe au général et au sol en 2019. En avril dernier, j’ai remporté le titre de championne d’Europe pour la quatrième fois. Je ne m’y attendais vraiment pas, parce que je ne pensais pas encore avoir les capacités suffisantes. J’ai été surprise et heureuse de me dire que tout le travail que je fournis à l’entrainement paye. C’est la meilleure sensation !

Mélanie de Jesus Dos Aantos dans ses oeuvres ! (photo : Aurélien BRUSINI)

Ton état d’esprit quand tu es montée pour la première fois sur le podium ?
MDJDS : (Rires) En fait, j’avais parié avec mon beau-père que si je faisais un bon résultat, il s’engagerait à installer une piscine chez nous. Alors je me suis dit : « Yes ! Enfin, il va pouvoir construire notre piscine ! »

Ce que tu préfères en Martinique…
MDJDS : Si c’était une balade, ce serait la Baie du Trésor à Tartane. C’est une plage sauvage, comme moi… Je la connais depuis toute petite et ça me fait toujours autant plaisir d’y aller. Si c’était un plat, ce serait le ti nain morue que ma mère prépare à merveille ! Une autre passion ? Mise à part la danse, ce serait la pêche sportive. Ma plus grosse prise : un thazard de 12 kg.

Première martiniquaise à atteindre ce niveau en gymnastique, te sens-tu comme une ambassadrice ?
MDJDS : Ambassadrice ? Pas encore. Je pense que lorsque je rentrerai aux Antilles, oui, je ramènerai tout mon savoir. Je suis très fière de représenter nos îles. J’espère bientôt voir d’autres gymnastes caribéens briller à l’international.

Mélanie de Jesus Dos Aantos avec ses médailles (photo : Aurélien BRUSINI)

Ton plus grand rêve ?
MDJDS : Avant, je disais « participer aux Jeux Olympiques », mais maintenant, c’est « performer et monter sur le podium » à Tokyo.

Un message pour tes lecteurs caribéens?
MDJDS : Merci pour tout le soutien que vous m’apportez, toute la force que vous me transmettez. Je vous aime tous et je vous embrasse !

Véronique Brusini

Simone Schwarz-Bart, porteuse de temps

Simone SCHWARZ-BART (Photo : Stéphane Alunno)

Il y a, chez Simone Schwarz-Bart, ce talent de conteuse et ce regard perçant que l’écrivaine tourne vers le passé et qui en fait surgir l’essentiel : les drames et la lumière.

Simone Schwarz-Bart parcourt les interstices du temps et du langage. Ce qu’elle a à dire, ce qu’elle exprime dans ses livres révèlent une incroyable ténacité, une volonté farouche de s’approprier la langue jusqu’à en extraire son propre univers hérité des ancêtres, de la terre qu’ils ont douloureusement travaillée pour enrichir d’autres hommes.

De la souffrance, elle dira d’ailleurs : « les histoires de souffrance sont sonores, elles se racontent ». C’est l’engagement de toute sa vie. Comment Simone Schwarz-Bart s’est-elle si intimement liée à l’écriture ? « J’ai vraiment commencé à écrire à la mort d’une amie qui s’appelait Stéphanie Priccin. Elle habitait Goyave et était assez âgée. Je la visitais de temps en temps. J’ai toujours été assez fascinée par ces « morceaux de monde » que sont les personnes âgées. Pour nous, Antillais qui n’avons pas beaucoup de repères dans le temps, les générations d’avant représentent ces repères qui nous manquent. Il faut bien qu’il y ait une origine, tous les temps ont une origine. Je situais l’origine avec la génération de ces anciens qu’on vénérait à l’époque et qui étaient des porteurs de temps.

A la mort de cette amie, il a fallu que je la réinvente et c’est là qu’intervient l’écriture proprement dite. C’est ainsi que j’ai eu envie de raconter un monde qui disparaissait. » Se sent-elle, elle aussi aujourd’hui « porteuse de temps » ? « Oui, je me sens un peu, moi aussi, porteuse de temps, témoin d’une Guadeloupe dans sa phase initiale. » C’est ce que l’écrivaine fait vivre dans ses livres à travers des strates de l’histoire qui se rencontrent, se mêlent, se démêlent. Mais les hommes sont toujours les mêmes. C’est pourquoi, dit-elle : « Tant qu’ils n’auront pas changé de coeur, de vision, les choses vont se répéter, différemment, mais avec toujours les mêmes zones d’ombre et quelque part, la même lumière aussi ».

PLUIE ET VENT SUR TÉLUMÉE MIRACLE

Une flamboyante histoire, un univers à la fois profond et d’une telle justesse que ce chef d’oeuvre de la littérature caribéenne est considéré comme un des plus beaux romans du XXe siècle. Descendante d’esclaves, Télumée Miracle s’efforce de vivre sur cette terre ingrate, avec une grand-mère « porteuse de temps » et dans la survivance d’un système imposé par les blancs. « Elle représente une sorte de « permanence de l’être antillais et de ses valeurs », dit Simone Schwarz-Bart. Avec ses éternels amours, malgré le chaos, et comme toutes ces femmes qui ont fait le chemin avant elle, Télumée Miracle a décidé de vivre debout.
Pluie et vent sur Télumée Miracle de Simone Schwarz-Bart. Ed. du Seuil

Aimée Petit

« WASTRAL » l’envoûtant nouvel EP de Célia WA

En pleine tournée hexagonale aux côtés de David Walters, la flûtiste, chanteuse et tambouyé d’origine guadeloupéenne Célia WA nous offre, entre deux concerts, une interview pour la sortie de WASTRAL, son nouvel opus signé chez Heavenly Sweetness.

Célia voit le jour à Paris puis découvre l’île de ses ancêtres vers l’âge de six ans. Elle y apprend rapidement les bases de la musique traditionnelle sur les bancs de l’école du grand Georges Troupé. Initialement attirée par le Ka, passion et source inépuisable d’inspiration (notons au passage le chiffre symbolique de 7 titres sur Wastral) elle se consacre ensuite à la flûte traversière ainsi qu’au chant. Multi-instrumentiste de talent, elle fait sa première représentation publique à douze ans au sein du big band guadeloupéen « Kimbol ».

(Photo : Ingrid Mareski)

Son amour pour la scène ne la quitte plus. De retour en France peu avant la vingtaine, c’est transcendée par la culture Hip-Hop qu’elle se dirige vers la danse, rejoint la compagnie Deepside et pousse la discipline jusqu’à en faire son métier. Cela l’amènera notamment à travailler pour une célèbre comédie musicale, mais l’expérience, bien qu’enrichissante, ne la conforte pas dans la voie de l’expression corporelle. C’est bel et bien la musique qui la fait vibrer et ce plus que tout ! Déterminée à se perfectionner, elle intègre alors la très réputée « American School of Modern Music » (IMEP Paris) et crée des connexions avec Erik Pedurand, Tricia Evy, Franck Nicolas, G’Ny, Corinne Pierre-Fanfan et bien d’autres.

(Photo : Ingrid Mareski)

Aujourd’hui, et toujours dans la lignée de « Wa » produit en 2013 puis de « Adan on dot Soley » en 2018, Célia poursuit le développement de son concept musical qu’elle qualifie de Karib’Futur’Sound. A bord des 7 pistes de Wastral – nouvel EP disponible sur les plateformes depuis le 2 juillet – l’artiste nous transporte vers une néo soul interstellaire, initialement acoustique et brillamment sublimée par l’oreille futuriste, résolument électro, du producteur Victor Vagh, connu notamment pour son travail auprès de la pétillante brésilienne Flavia Coelho. Les paroles en créole (sur Yo méné nou la / Pa ka lagué / Tchad a lanmou…) ou en anglais (Engraved / Wake up / Over…) se marient parfaitement aux mélodies d’une flûte planante, parfois virevoltante et aux beats teintés de jazz, hip-hop ou reggae-dub subtilement dosés.

A écouter donc et ré-écouter sans modération, avant de pouvoir le vivre en live, certainement à la rentrée prochaine…

Le nouvel EP est ici : https://cliawa.bandcamp.com/

Fb : Célia wa
Insta : c.lia.wa

 

Texte : Mathias Flodrops

Risotto aux langoustes, la recette de Guy Ferdinand

INGRÉDIENTS

200 g de riz à risotto
3 courgettes
3 aubergines
3 champignons (en réserver 1 pour le dressage)
2 oignons
1 piment végétarien
1 belle langouste fraîche (450 g)
100 g de beurre demi-sel 1,5 L de bouillon de poisson
Parmesan

 

Préparation : 5 min
Cuisson : 17 min
Niveau : facile
Nombre : 4 personnes

 

LA RECETTE

1. Pelez et émincez les oignons, coupez les légumes en petits morceaux.

2. Dans une grande casserole, faites revenir le beurre et les oignons.
Quand les oignons sont colorés, ajoutez le riz. Mélangez délicatement.
Ajoutez une louche de bouillon.
Tournez très régulièrement.
Surveillez le risotto pour ne pas qu’il attache !
Continuez la cuisson en ajoutant une louche après l’autre de bouillon, dès que la précédente est absorbée, tout en mélangeant.

3. Pendant ce temps, dans une poêle, faites sauter les petits légumes (courgettes, aubergines) dans de l’huile d’olive. Puis ajoutez les champignons coupés. Faites-les poêler légèrement. Réservez au chaud.

4. Séparez la tête du corps de la langouste. Ôtez la carapace. Coupez une partie de la chair en petits bouts. Versez-les dans la grande casserole et ajoutez du bouillon. Tournez le risotto. Contrôlez régulièrement la texture du riz.

5. Ajoutez les petits légumes dans la grande casserole. Mélangez le risotto pour bien le lier et versez la fin du bouillon.

6. Râpez finement le piment végétarien et ajoutez-le au risotto.

7. Arrêtez la cuisson à 17 min. Laissez reposer 3 à 4 minutes hors du feu puis mélangez. Saupoudrez de parmesan râpé.

8. Découpez le reste de la langouste et un champignon en rondelles fines.
Servez immédiatement.

Bonne dégustation !

La CASE et la MAISON CRÉOLE en Héritage

Habitat créole d’aujourd’hui…, qu’évoques-tu, de quel legs es-tu le témoignage, de quels modes de vie es-tu le symbole ? Le paysage architectural caribéen actuel repose sur deux modes d’habiter inscrits dans son histoire : la case et la maison créole.

LA CASE COMME UNITÉ DE VIE

La case existe déjà dans l’habitat caraïbe à l’arrivée des premiers colons, en 1635. Les « mouinas » sont un ensemble de cases bâties autour d’un bâtiment commun : le carbet. Puis elle sera l’habitat des esclaves fait de gaulettes entrecroisées, recouvertes de feuilles de palmier qui seront remplacées après l’abolition de l’esclavage par des planches. La case est un habitat rural, de petits cultivateurs, l’habitat des pauvres, intimement lié à leurs conditions de vie.

Puis la case abandonne les campagnes pour s’implanter en ville. Quand une famille déménage, et bien, la case déménage aussi. On l’a vue sur les chemins, transportée par des boeufs puis par des camions. Elle change de place, mais pas de fonction. On transporte sa case pour venir travailler à l’usine, celle de Darboussier, quartier Assainissement à Pointe-à-Pitre par exemple, où se forment de vastes espaces insalubres. Elle s’implante aussi en centre-ville où elle se « durcifie » et monte fièrement en étages : la cour cimentée remplace le jardin arrière, on y ajoute une case à eau en fond de parcelle et on la transforme peu à peu en salle de bains et en cuisine.

Dans les faubourgs, autour des centres villes, les cases viennent se poser autour de parcelles étroites et longues formant les « lakous » qui abritent en leur centre jardins partagés et activités collectives, ce qu’on pourrait appeler tiers-lieux, de nos jours.

LA MAISON CRÉOLE DES PLANTEURS

Au XIXe siècle, les planteurs construisent leurs maisons en bois sur un soubassement en maçonnerie de pierres et de mortier, mélange de cendres, de sirop de canne, de sable et de chaux. Ils entourent la maison de galeries.

« Cette maison est en général de plain-pied et comporte dans le vide sanitaire une citerne, élément très utile en cas de cyclone, de sécheresse ou de coupures d’eau ! Le soubassement de 80 cm permet aussi la mise en place d’un escalier à larges marches sur lesquelles il fait bon s’asseoir au crépuscule, au calme, une fois la journée de labeur terminée. De l’ancienne case à eau est resté l’emplacement de la cuisine, sous le vent et un peu à l’extérieur, dans une partie de la galerie. Cette dernière était à l’origine un espace de transition semi-public : il permettait d’accueillir le visiteur avant de l’inviter à entrer, ou pas… Aujourd’hui on met le plus souvent son salon sur cette galerie devenue d’apparat et on y reçoit à dîner. L’intérieur peut rester privé », précise Michèle Robin-Clerc, architecte.

C’est de cette esthétique et de ce modèle architectural que s’inspire principalement l’architecture créole d’aujourd’hui. Les auvents et la galerie permettent de protéger les façades du soleil et de la pluie. La toiture en tôle ondulée colorée, ses lambrequins et ses frises, jolies dentelles qui soulignent l’égout de toiture dans des motifs riches et variés, lui donnent son charme. Il faut y ajouter les persiennes qui jouent avec le soleil et la brise. « Mais le bois qui posait tant de problèmes a disparu des modes constructifs. Vers 1930, à la suite de l’introduction du béton armé en Guadeloupe par l’architecte Ali Tur, des privés construisirent de très jolis immeubles de style Art Déco et leur plan resta celui de la case ayant pris ses lettres de noblesse, avec cependant l’intégration des pièces d’eau. Puis une importante immigration syro-libanaise se fit dans les années 1950. Elle construisit en ville des immeubles en maçonnerie avec un rez-de-chaussée commercial et des étages consacrés à l’habitation. Ainsi la maçonnerie était lancée. Sans retour. Et ce n’est pas le terrifiant cyclone Irma en 2017 qui viendra nous inciter à construire en bois », témoigne notre architecte.

IDÉAL CLIMATIQUE

Comment Michèle Robin-Clerc voit-elle l’avenir de l’architecture créole ? « Elle est notre avenir quand elle hisse ses terrasses aux immeubles, quand elle met ses persiennes et ses auvents au service du climat. L’idéal climatique écologique du bien-être est à l’ombre sous un arbre dans la brise », ce que l’on parvient tout à fait à réaliser quand on construit son appartement ou sa maison en respectant ces principes. Cette architecture est par ailleurs adaptée aux nouvelles contraintes de confinement et d’aération dues au Covid : par la persienne on peut voir, on peut respirer. C’est une ouverture sur le monde. Et sur sa terrasse on peut planter hibiscus ou bougainvilliers qui purifient l’air.

Les maisons qui ont résisté aux cyclones et aux incendies sont parfois très bien entretenues, comme, en Guadeloupe, le Maudhuy à Saint-François. Mais d’autres sont très dégradées, comme celle du Morne Mamiel, ou l’Ermitage à Trois-Rivières. L’ensemble de Vieux Habitants a été parfaitement rénové telle la Caféière Beauséjour à Pointe-Noire. En Martinique, la maison créole est le plus souvent recouverte de tuiles, ce qui lui donne un charme particulier. L’île dispose en effet d’une argile à terre cuite, dont la Guadeloupe est dépourvue. Nous avons encore de très beaux exemples de ces maisons, telles l’Habitation Clément, Pécoul, Bellevue, Saint-Etienne, souvent encore liées aux exploitations de rhum agricole.

LUXE ET ESTHÉTIQUE

« Ces maisons sont des témoins précieux. L’architecture créole s’est intégrée à notre conception de la vie et tous, quand nous construisons, c’est avec cette connaissance chevillée au corps. Elle nous fait orienter notre maison face au vent et la parer d’une élégante toiture colorée, d’auvents, de galeries, de persiennes ou de frises », conclut Michèle Robin-Clerc.

La case a bien des raisons de regarder vers l’avenir. Il est étonnant de comprendre que la luxueuse villa de Saint-Barthélemy est en fait un assemblage de petites cases, unités de vie comprenant une chambre, un dressing et une salle de bain, assemblées autour de la grande case qui abrite le séjour et la cuisine. C’est l’idée du village, du hameau. Ainsi la pauvre maison du travailleur s’est donné ses lettres de noblesse et a porté son originalité vers les sommets du luxe et de l’esthétique.

 

La Maison de Madame Célérien

Une case à Port-Louis, Guadeloupe

La maison de Madame Célérien, qu’on appelait man Firmin du prénom du père de Justin qui vécut assez longtemps avec elle, était composée de deux pièces ; dans le salon il y avait quelques meubles de courbaril sur lesquels étaient posés des napperons au crochet. Un guéridon rond était placé à côté de la berceuse. Man Firmin y mettait ses lunettes, un éventail et le France-Antilles.

L’autre pièce de la case comportait un lit recouvert d’une grande couverture faite au crochet et doublée de soie rouge. Sur la table de chevet, il y avait une vierge bleue et blanche dans les mains de laquelle man Firmin mettait son chapelet. Aux parois de la case elle avait punaisé des pages de magazines qui représentaient des sujets pieux ou des faits marquants, notamment le mariage de Grace Kelly. Les pages avaient vieilli, s’étaient gondolées menaçant de tomber en charpie. L’électricité et l’eau courante avaient rejoint la maison après qu’elle ait été transportée de la campagne à la ville sur une charrette à boeufs puis posée sur des pierres, à Calvaire, cinquante ans auparavant. Après la petite cour arrière on trouvait à présent la cuisine et la salle de bains aménagées dans une cahute de planches. Ses tôles, comme celles de la maison principale, étaient de toutes les couleurs et à moitié rouillées ; elles avaient été récupérées dans la nature après un cyclone et rapidement reclouées. Il y avait, près du réchaud à gaz, un évier de grès posé sur des jambages de béton sur l’égouttoir duquel venaient s’empiler des casseroles en ferblanc toutes cabossées, à manche de bois, et de la vaisselle en pyrex de couleur verte.

En avant Petibonum !

Restaurant Le Petibonum au Carbet, à la Plage du Coin en Martinique (photo Aurélien BRUSINI)

S’attabler au Carbet, à la Plage du Coin, pour savourer des douceurs culinaires locales les pieds dans l’eau : c’est ce que vous propose le restaurant et bar à rhum Le Petibonum.

A l’image de son chef cuisinier, le sémillant Guy Ferdinand, le restaurant et bar à rhum Le Petibonum est un établissement de caractère. Alangui sur le sable noir de la Plage du Coin où la mer des Caraïbes déroule ses vagues turquoise coiffées d’écume champagne, Le Petibonum est une invitation à se saisir de l’éventail de créativité qu’offre la culture locale, pour rafraîchir son esprit lors d’un vagabondage sensoriel.

Sur les lambris de la cuisine et du bar courent des mots doux, acidulés, sucrés-salés : « Morne Rouge, d’lo-koko, mako, chelou, kaka-poul, chabin’doré, doudou… » Ils sont nés sous le pinceau de l’artiste Claude Cauquil et répondent aux oeuvres de Carole Aurore. Une autre initiative du chef, qui souhaite inviter chaque année une ou un nouvel(le) artiste à s’exprimer pour redessiner l’identité de « l’île aux Fleurs » là où on ne l’attend pas : sur ses sculptures en bois flotté, son mobilier et les rares murs qui composent ce lieu ouvert aux vents.

La magnifique plage du Carbet où se trouve le restaurant Petibonum (Photo Aurélien BRUSINI)

Sur les terrasses comme sur le deck du bar de plage, ça respire la joie de vivre. Les vingt-quatre membres de la brigade s’activent. Balaous frits, rougails saucisses, risottos de langouste, fricassées de chatrou et filets de marlin dansent de la cuisine à l’assiette, participant à l’aventure culinaire chaque jour renouvelée. Avant le dessert, une petite baignade délassante offre un autre ballet : celui de dauphins jouant et sautant par dizaines dans les eaux scintillantes.

Une localisation unique, ouverte sur la Caraïbe (Photo : Aurélien BRUSINI)

Les heures coulent, hors du temps. Seule la course du soleil et les irisations rose-orangées du ciel en témoignent. Au bar à rhum – l’autre spécialité du Petibonum – le barman, Gilles, innove, mettant à l’honneur la fine fleur de la distillation locale. Son inspiration du soir : du sucre de canne fondu au citron vert accueille le maracudja frais sous une cascade de rhum blanc, rehaussé de Ginger Beer épicée. A déguster les pieds dans le sable au coucher du soleil…

Savourer un cocktail au coucher du soleil ! (Photo Aurélien BRUSINI) – L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

OÙ TROUVER LE PETIBONUM ?

Plage du Coin
97221 Le Carbet
0596 78 04 34
www.petibonum.com

 

> A LIRE ÉGALEMENT : Guy Ferdinand, l’irréductible (chef de Petibonum)

Véronique Brusini

Odyssée créole – Opération PLI BEL LARI

Pli Bel Lari (Photo Aurélien BRUSINI)

Dans le quartier Dugommier, coeur historique de Pointe-à-Pitre au charme désuet, des habitants, portés par l’association Atelier Odyssée, se sont engagés depuis 2014 dans l’opération « Pli Bel Lari », pour sauver ce bastion inestimable de l’architecture créole populaire.

« Quartier difficile et dégradé » : voilà bien une étiquette que bon nombre d’habitants du quartier Dugommier entendent balayer, au figuré comme au sens propre, en rénovant les cases créoles en perdition et en recréant un lien social fort. Ainsi est née « Pli Bel Lari ». « À travers la rénovation des façades, nous replaçons la solidarité au service de la qualité du cadre de vie », souligne Sylvie Adélaïde, architecte-urbaniste coordinatrice de l’opération.

Les bénévoles de Pli Bel Lari à l’oeuvre © AURELIEN BRUSINI

En ce dimanche matin, comme tous les quinze jours, une équipe de bénévoles s’atèle à un nouveau chantier. Aujourd’hui, quatre d’entre eux, après avoir poncé le bois et rebouché les trous les plus importants, passent une sous-couche de peinture avant la mise en couleurs d’une case créole, en continuité de celle déjà rénovée par leurs soins de l’autre côté du porche. « Nous tentons toujours de rencontrer les propriétaires pour leur soumettre le projet et avoir leur assentiment », confie Hervé, un des bénévoles. « Nous leur proposons les couleurs et ajustons si besoin avec eux », complète Julie, le pinceau à la main.

Une réalisation de Pli Bel Lari © AURELIEN BRUSINI

Bonne humeur communicatrice, patience, ténacité et empathie unissent les membres de l’association et font des émules : pour une façade rénovée par leurs soins, ce sont parfois deux maisons environnantes qui reprennent des couleurs, à l’initiative des habitants. Mais les actions ne s’arrêtent pas là : « Nous réhabilitons aussi les espaces à l’abandon pollués par les décharges sauvages pour en faire des lieux de vie, de partage et de tranquillité », renchérit Martine. C’est ainsi qu’a vu le jour un nouveau jardin créole participatif où poussent canne Jamaïque, groseille péyi, chou Chine, tomates, menthe, bananes, herbes aromatiques et médicinales.

Pli Bel Lari © AURELIEN BRUSINI

Plus loin, c’est un jardin zen qui accueille les passants.

Le Jardin Zen de Pli Bel Lari © AURELIEN BRUSINI

Cinéma de plein air, cours d’arts plastiques, invitation de street-artistes, chanté Nwel, théâtre, débats sont autant d’occasions de se rencontrer et d’échanger créées par l’association Atelier Odyssée, pour que vive encore longtemps ce quartier aux façades comme dans les coeurs : haut en couleurs !

Pratique
Atelier Odyssée
17 rue Victor Hugo, à Pointe-à-Pitre.
FB : Pli Bel Lari
Pli Bel Lari © AURELIEN BRUSINI
Pli Bel Lari © AURELIEN BRUSINI
Pli Bel Lari © AURELIEN BRUSINI
Pli Bel Lari © AURELIEN BRUSINI
Véronique Brusini

Le conte du Chemin-Roche

Parce que le conte est intimement liée aux mémoires caribéennes, Créola est parti à la découverte de ceux qui nous racontent des histoires. Voici, pour vous, le premier des Contes de Chemin-Roche, recueil de quinze récits de l’auteur antillais Louis Zou. Un livre « à dire », drôle et optimiste.

CHAPITRE 1
Je me réveillai. J’avais froid. Le drap ? En dépit de mes tâtonnements pour le tirer encore à moi, je ne le trouvais pas. Pourtant, je dormirais bien, et pour encore longtemps, si cette grâce m’avait été accordée. Mon père avait bien dû s’en douter un peu. Mais il n’avait eu cure de ma paresse. Ma couverture frissonnait au-dessus de moi, sous son coude, loin de ma peine au creux de mon matelas. Content de sa farce, les cheveux en broussaille, il me convainquit en sifflotant de sortir de ma douce kabann la sa enfin !
Il m’attrapa par un bras, me plaça debout au milieu du couloir attenant à nos chambres. Des échardes de sommeil récalcitrant à s’estomper me faisaient des gestes mous devant lui. Il me tendit mon pot de café fumant et m’incita à profiter sans traîner de ce breuvage plus doux que sirop selon ses claquements de langue. J’essayai. Je bavai d’emblée la première gorgée et ne pus m’empêcher de grimacer. Je ne pouvais avaler ce feu !
Mais cette secousse avait eu du bon contre mes bâillements. Revenu sur terre, je vacillai et n’en crus pas d’abord mes oreilles ! Les grenouilles ! Elles s’angoissaient ! Essaieraient-elles toujours d’accorder leurs clarines, en pupitres essaimés à l’envi sous la houle des bananiers autour de la maison ? Je repérai une de ces impénitentes vrilles. Elle se rengorgeait près de moi sur le rebord de la fenêtre.

Je n’en crus pas mes yeux ensuite : par la porte entrouverte de la salle à manger, dans le faux jour de a cour, une de nos deux ânesses piaffait sous son bât. Un feu de souches de caféiers enfumait son abri de tôle et lançait des flammèches vers les spasmes de fraîcheur du ciel glauque. Du thé chantonnait dans une grande casserole posée de guingois sur les roches du fouiyé difé. Le tumulte de la citronnelle me réconforta les narines alors. Le jour était encore loin de se lever. Me laissant à mes rêveries, mon père s’éclipsa dans la pénombre. Je l’entendis traîner des choses dehors. Curieux, je me dirigeai vers lui. Un peu à l’aveugle ! La brise taquinait au bout de son bras levé la lueur chiche de son flambeau.
Je soufflais de mon côté sur mon tiololo. Il ne se laissait toujours pas siroter. J’en fus pour mon compte : la torche me fut confiée ! Un fouillis encombrait le plateau d’un établi. Des perles de notre oranger, peut-être désorienté par son insolite oraison d’arrière-saison, nappaient ce bric-à-brac. À grand bruit et les mains libres à présent, mon père fouilla dans le lot sur la table. Il déposa quelques caisses au sol afin de pouvoir accéder à des sacs, noués par de la celle en baluchons serrés, à l’arrière du plateau. Il enleva un à un ces paquets et alla les fourrer au fond des paniers du bât de sa monture. Sous ces charges portées à bout de bras, le cailloutis de la cour infligeait torture à ses pieds encore nus.
Il se mordait les lèvres.
Ces mimiques m’amusèrent.
La veille, ses godillots s’étaient repus d’eau boueuse à son habituée où il trimait seul, depuis trop longtemps selon tout le monde à la maison. La glu infecte du cuir de ses bottes l’avait rebuté aujourd’hui. Il ne s’était pas résolu, en cette pointe du jour, à confier ses orteils à leur étreinte. Il avait donc posé ses chaussures à réchauffer aux lueurs du brasier.
Le souffle retenu, il arrêta son manège, me dévisagea comme inquiet soudain et me conseilla d’aller me passer un peu d’eau froide sur mon museau au lieu de gober les maringouins comme je lui en donnais bien l’impression.J’obtempérai à sa douce sollicitation ! Je ne mourais certes pas d’envie d’aller relever le dé de la baille. Sous la gouttière, cette mare miroitait de lanières glaçantes d’effroi. Mais comme Papa avait, prétendait-il, des yeux de rapace, je fus pris de court et ne trouvai pas comment escamoter ma toilette ce matin sans lui mentir ! Il était capable, nous avait-il persuadés, de découvrir un sou percé dans un baril de goudron. Figure-toi !
Moi, cet exploit ne m’inspirait pas grand-chose. Je n’avais que cinq ans et, à cet âge-là, un enfant ne se soucie que si peu des prouesses. Eussent-elles été extraordinaires !
Et puis, à quoi ressemblait un sou ? Un machin percé en plus ! Quant au baril de goudron !
Lui, de son côté…

Notre cafetière, à l’émail craquelé, se morfondait à longueur de journée aux abords du câlin des braises du réchaud. Tant de chauds et froids avaient malmené sa patine pourpre et son fond béait d’une sournoise fistule. Avec quel soin ma mère s’ingéniait-elle, ce matin-là, mais pas plus que les autres, à reboucher cette fente avec du coton qu’elle venait de prélever par l’orbite creuse d’un matelas, déjà roulé en boule, dans un coin de la salle à manger.
Elle rinça un peu cette mèche de ouate dans une cuillerée d’eau au fond d’un kwi. À ce geste, devenu recueillement à force, elle s’attrista, en psalmodiant :
– « Tous les enfants d’ici ont pissé dans ce tas de machin ! »
Bien sûr, elle frottait et tordait-tordait longtemps ce joint pour le rendre rassurant ! Avec quel acharnement mon père, de son côté, injurierait-il cette cafetière après sa sieste si par malheur – et cela malgré le rafistolage matinal – cette vieille compagne avait perdu, goutte à goutte dans sa quiétude, tout le café pour l’après-midi.
Car elle se devait de garder pour ce travailleur son réconfort, au chaud dans un coin du potager, coincée contre les flancs du faitout où se consommait la soupe de pattes de poule du soir. La moustache de ouate serait redevenue toujours aussi équivoque que le matin. Mais alors, Calpinguio, pour rallumer le feu sous le kannari ces jours-là – avec les braises détrempées –, quelle histoire !
Aïe ! Ma pauvre Manman bannann !
Que veux-tu ?
A la maison, chacun s’énervait.
Le quotidien n’était pas toujours très gai ni très calme. Nous ne nous y ennuyions pas cependant ! Loin de là !
Nous excellions en des tours plus craquants les uns que les autres.
Nous en profitions lorsque Papa, que nous nous surnommions l’Ours Brun, vaquait ailleurs à ses obligations sous ses bananiers. Nous ne tenions pas non plus en place quand Louise Coolie, une fluette personne tout en rodomontades de cheveux hors de son madras toujours trop lâche, venait apporter la dépêche à Papa pour la coupe de la banane, car le bâtiment allait accoster à Basse-Terre dans la semaine. Elle nous saoulait d’histoires sur Maliémin et Maldévilin, sans se lasser à ces occasions. Toutes ces légendes, toujours plus insolites les unes que les autres, nous ravissaient ! Au bout de ces intermèdes, au bout de ces frissons, comme nous les trouvions moroses, nos deux proches cousines !
Cousine Firmanise et sa soeur Firminia vivotaient seules sous les regimbements de leur masure à portée de voix de chez nous. Enlacements pervers d’un entrelacs de christophines, emportements de bougainvilliers, hérissements de buissons d’hortensias de partout, étouffaient cette case !

De peur de s’ébouler, la masure se crispait, au bout de longs pilons de tandakayou, sur le flanc brumeux d’un morne, rongé à ses pieds par une ravine que nous entendions gronder là-haut chez nous les nuits de grosses intempéries.
Il nous fallait toujours faire bien attention pour la saluer quand nous croisions l’une de ces Diablesses sur notre chemin. – Bonjour, Cousine Firminia ! Pardon, la cousine ! Oui ! Pardon, Cousine Firmanise ! – Comment ? Un grand ti-garçon comme toi ! Tu ne peux pas faites attention, alors… ? Dis-moi un « Bonjour, Cousine Firmanise » convenable. Oui ! Toi ! Surtout toi, le petit mal élevé ! Et… je vais dire ça pour toi à mon Tonton quand je vais le rencontrer, tu vas voir !
Ah, que Cousine Firmanise nous décevait ! Et je savais pourquoi, figure-toi !
Comment veux-tu qu’une femme comme ça, nourrie aux christophines et aux cacas-d’or, ces pataudes écrevisses qui peuplent les eaux-vannes de sa capricieuse ravine, resplendisse de bonheur ?
On peinerait à trouver moins blême et sinistre qu’elle !
Foi de mon père !
Un jour, l’étique Rapporteuse ne fut plus. Il nous est resté la très charmante Cousine Firminia.
Cet autre inquiétant paquet d’arêtes nous avait abasourdis, à peine son deuil oublié. Elle avait, bien sûr, autre chose à faire que s’attrister trop long- temps ! Elle choisit donc de se mettre en ménage !
Avec un étranger ! On Nèg Pwent Nwa !
Un bègue échappé de son caillouteux Trou Caverne pa si an ba, tombé en route sur le bonheur en louant le Seigneur, dans les parages du Chemin-Roche !
Ce hardi bafouilleur n’avait pas tardé à flamber, sous la forme d’un capital volant, l’argent de cette anguille qu’il avait harponnée à l’aveugle à sa grande stupéfaction ! Et comment encore ? Mais comme à chacun sa chance dans la vie, cela ne nous regarde pas !
Le capital volant, une rutilante limousine qu’il remisait loin de la maison de Cousine faute de voie pour y accéder encore, nous réjouissait plus en tout cas que notre ânesse quand il pleuvait le dimanche. Au volant de sa machine, sur fond de grésillements de sa radio, ce prince nous embarquait dans les effluves de cuir neuf de son habitacle.
Nous lui rendions grâce ! Car ce gentil égard de sa part nous permettait de faire un petit coup de voiture pour aller à la messe. Rare bonheur !
Ce n’était pas pour cette maudite fanfreluche que l’on devait nouer, par tous les temps et avant d’aller jouer, des bottes d’herbes pleines de poil à gratter et de guêpes.

Est-ce que c’était cette amusette qu’on était en train de charger ce matin-là, en grande effervescence, pour aller à Champ-Fleury ? Mais non ! C’était notre ânesse grise ! Celle que nous avions joliment baptisée Surprise ! Cette bête, la docilité même, se laissait faire par la brusquerie paternelle en égrenant un chapelet de crottins aux vapeurs âcres. Elle pressentait peut-être les plaisirs que lui promettait cette randonnée. Mais quel événement avait déclenché tous ce branle-bas en ce petit matin brumeux ? Voilà, c’était simple, tu verras, Calpinguio. Et il n’y en avait pas pour s’en faire un pain de sucre. Mais rappelle-toi, Calpinguio : à la maison, les gens étaient nerveux. C’est-à-dire que nous n’étions pas triste !
Quelques temps auparavant, la belle récolte de café de mon Papa s’était très bien vendue. Se trouvant devenu riche d’un coup, et guidé en cela par une des illuminations dont son oeil de gligli lui dictait les secrets, cet homme chanceux avait acheté une future propriété à Champ-Fleury. Une future propiriété, ce n’est pas mal, tu sais, Calpinguio ! Car on peut la rendre accueillante quand on sait bien s’y prendre ! pour cela, il suffirait de déraciner tous les grands arbres qui l’ombrageaient. Bien sûr, que de milliers de fûts y avaient poussé ! Mais que crois-tu donc ?
Cette aquisition était un domaine resté longtemps inexploité et une dense forêt l’avait rhabillé en y ayant repris ses droits. Après cet indispensable essouchement, il faudrait envisager de construire au plus tôt, et en faisant attention au bel air pour la fraîcheur, un coquet ajoupa, car il arriverait parfois que les deux rivières qui enlacent ce terrain entrent en crue en même temps. Quand elles déborderaient ainsi, cela deviendrait périlleux de s’échapper des bois à ce moments-là. Alors, contraints et forcés, on passerait la nuit dans cette cabane ! Voilà !
Quant au chemin qui n’existe pas encore, lui, petite affaire ! On ne tarderait pas à en tracer un sous les arbres ! Un chemin comme il faut cependant, serpentant en larges esses pour assagir son essor vers le ciel afin que la bourrique ne souffre pas trop dans les raidillons avec les sacs d’enfrais ou d’ignames. Cette percée devait bien sûr être assez large pour que la pauvre bête la traverse avec son bât sans encombre ! On n’avait pas besoin, pour notre quotidien, de petits malheureux, d’une route coloniale. Quelle couillonnade, cette histoire de grande voie chaque fois qu’on parler de circuler ! Les gens faisaient comme si la bourrique n’existait pas ! Tu vois, Calpinguio, mon père était tout simplement moderne. Il le clamait souvent. À quoi cela te sert d’être en avance sur ton temps ? Il retardait bien un peu, penses-tu ? Eh bien, moi, je te dis, mon neveu : pas plus que les enfants ne rêvent les enfants ne pensent. Alors, écoute et cesse de penser.

Louis Zou.
LES CONTES DU CHEMIN-ROCHE / Ed. Jets d’Encre

La Presqu’île de la Caravelle en Martinique : la Nature en Trésor

La Presqu’île de la Caravelle en Martinique (Photo Aurélien Brusini)

LA RÉSERVE NATURELLE NATIONALE DE LA PRESQU’ÎLE DE LA CARAVELLE CACHE EN SON SEIN UN TRÉSOR. DÉCOUVERTE À PAS FEUTRÉS DE LA BAIE ÉPONYME.

La première volée de marches plongeant dans la forêt tropicale sèche est une invitation à l’aventure… En toute discrétion, pour de belles observations. Ici, la diversité des milieux que nous rencontrons (savanes herbacées, forêts sèches, mangroves et forêts d’arrière-plage) a permis la survie de plusieurs espèces animales et végétales endémiques, rares et fragiles. Entre courbarils, bois-rouge ou acomats francs aux larges contreforts caractéristiques, un couple de moqueurs à gorge blanche, farouches, s’engouffre sous un raisinier grande feuille de la Caravelle qui ne pousse que dans la réserve. Le sous-bois xérophile, lumineux et aéré, s’ouvre alors en surplomb de la mangrove.

Photo : Aurélien Brusini

Sur le sol volcanique, la langue de terre ocre du sentier serpente entre fourrés et étang bois-sec jusqu’à un petit kiosque, délicieux tant pour l’ombre qu’il procure que pour la vue qu’il nous offre sur ce paysage limoneux, domaine privilégié des palétuviers.

Gris en amont, blanc, noir puis rouge en bord de mer : toutes les espèces sont ici représentées. Voici les seuls arbres capables de pousser en bordure de mer tropicale sur un sol immergé, salé voire anoxique. Chaque espèce se répartit par zone selon le degré (parulines jaunes), gangans (coulicous manioc – en photo NDLR) et caialis (hérons verts) régalent nos oreilles de leurs chants et notre regard de leurs envolées. La terre rouge s’assombrit puis s’efface sous une longue passerelle et nous disparaissons dans un labyrinthe de racines aériennes, jusqu’au rivage. La mer s’engouffre doucement, par ondes, sur le sol vaseux, refuge des mantous (crabes de mangrove). Nous restons subjugués par l’enchevêtrement des palétuviers, si dense qu’ils semblent faire corps !

Photo : Aurélien Brusini

Rejoindre la baie du Trésor, très sauvage, nous amène ensuite à revenir dans les forêts sèches d’arrière-plage, royaume des crabes de terre : ils sont des milliers à s’évanouir dans leur terrier, au fur et à mesure de notre avancée. Puis le couvert végétal s’éclaircit et nos pas foulent un sable gris d’une grande finesse. Baignade idyllique dans l’eau chauffée par le soleil. Dès le premier mètre immergé, nous sommes au coeur d’une véritable pouponnière : poissons et lambis grandissent ici en toute quiétude… La jeune gymnaste Mélanie de Jésus Dos Santos a eu raison de nous conseiller la balade !

Effet « mini-planète » de la baie du trésor en Martinique (Aurélien BRUSINI)
Photo : Aurélien Brusini

Pratique

Niveau : facile (prévoir de l’eau)
Accès : traverser le bourg de Tartane, poursuivre la route jusqu’au niveau du restaurant « Le Phare », puis emprunter la route forestière aboutissant à un petit parking.
Départ sur la gauche avant l’entrée du Château Dubuc.
Distance : 3 km (avec accès plage)
Dénivelé : 50 m Durée aller-retour : 1h30 (petit sentier).
Prévoir 2h pour accéder à la plage de la baie du Trésor.
Intérêts à proximité : Les ruines du Château Dubuc, une ancienne exploitation agricole, se visitent (accès payant).
Remarque : Kiosque en surplomb de la mangrove, idéal pour s’abriter du soleil… ou des grains !

Véronique Brusini

PORTFOLIO – Carte blanche à Stéphane Alunno

© Stéphane Alunno

Auteur photographe, Stéphane Alunno joue avec la lumière et crée les mises en scène. Il livre ici un extrait de son dernier travail, en cours de réalisation, « inspiré de scènes de vie captées au fil de mes itinérances » explique-t-il. « L’envie est née lorsque j’ai réalisé que certaines d’entre elles persistaient dans mon esprit, comme gravées dans ma rétine. Un arrêt sur image inscrit dans la mémoire tel un tableau, un souvenir joyeux, précis et coloré. »

Photo : Stéphane Alunno
Photo : Stéphane Alunno
Photo : Stéphane Alunno
Photo : Stéphane Alunno
Photo : Stéphane Alunno
Photo : Stéphane Alunno
Photo : Stéphane Alunno

Stéphane Alunno a voulu capter ces instants, ces passions, ces manières qui interpellent par leur beauté ordinaire. Ces visions qui d’un simple regard apparaissent plus fortes, plus nettes. Il dit : « Ces portraits chamarrés ne sont pas des photos « volées », ce sont des photos « jouées » ». Les modèles se prêtent au jeu de l’acteur, le temps d’une pose, d’une rencontre, d’un sourire. http://stephanealunno.fr